Provient d’un mot latin dont le sens est avant tout politique : libertas, c’est l’état de celui qui n’est pas esclave, ou d’un peuple qui n’est pas soumis à une autorité arbitraire et tyrannique.
Le terme s’est progressivement centré sur la situation d’un individu : c’est d’abord l’individu qui n’est soumis à aucune contrainte, puis l’individu qui possède une puissance de choisir parfaitement indépendante de toute cause extérieure (libre-arbitre). On peut rattacher ce dernier sens à la formule courante « être libre, c’est faire ce qu’on veut ».
La liberté au sens politique est un terme qui existe toujours : il désigne le fait de demeurer libre tout en étant soumis à l’autorité de la loi, dans la mesure où cette loi émane de l’exercice du pouvoir législatif des citoyens.
2. L’homme libre dans l’Antiquité
Le sens initial de la liberté se réfère à un contexte politique (le rapport entre le maître et l’esclave), ou même physique (celui qui est emprisonné). La liberté se définit de manière presque négative : celui qui est libre, c’est celui qui n’est soumis à rien d’autre qu’à lui-même.
D’un point de vue politique, le citoyen représente le modèle de l’homme libre, parce qu’il est l’opposé de l’esclave. L’esclave n’agit pas de son propre chef, c’est son maître qui constamment lui donne des ordres. L’homme libre ou le citoyen peut agir à sa guise.
Du point de vue de la connaissance de la nature, est libre tout être qui n’est pas contraint par une puissance extérieure à agir d’une façon particulière. Ainsi l’oiseau retenu en cage, mais aussi l’arbre forcé d’adopter une certaine forme, ou même la rivière que l’on détourne sont « contraints » et n’existent pas « librement ». Cela s’applique aussi à l’homme : l’homme libre n’est pas tenu d’agir en suivant la volonté d’un autre homme (servitude), il peut être pleinement lui-même, pleinement humain.
3. La fatalité, le destin et la providence
Il serait absurde de prétendre que la vie d’un homme n’est pas engagée dans un réseau extrêmement complexe de causes et d’effets, dont il constitue un maillon. Si cet ensemble de causes nous conduit invariablement à la même fin, quels que soient nos efforts, on parle alors de destin ou de fatalité.
Il y a de nombreuses réactions possibles à l’idée d’une fatalité s’abattant sur nous. La tragédie grecque donne des exemples de rébellions violentes, mais vouées à l’échec (Œdipe). La pensée stoïcienne conseille au contraire d’accepter humblement l’ordre des choses, ce qui selon elle revient à faire preuve de raison et de liberté.
La notion de providence a surtout été évoquée dans l’ère chrétienne. Elle pose le problème du rapport entre la toute-puissance de Dieu et notre responsabilité personnelle : si Dieu me détermine à faire le mal, en quoi suis-je responsable et pourquoi devrais-je être puni ? Mais si je suis responsable, est-ce que Dieu est vraiment tout-puissant ?
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Liberté et nécessité
1. La liberté dans la nécessité
L’idée de nécessité prend place dans un contexte d’analyse des lois de la nature : c’est la nécessité des lois de la nature, d’après lesquelles à une même cause répond toujours un même effet. Un rapport nécessaire est un lien indéfectible entre une cause et sa conséquence. Puisque l’action humaine est insérée dans la chaîne des causes et des effets, elle doit elle aussi dépendre d’une nécessité.
Spinoza pousse cette idée jusque dans ses dernières conséquences : si la liberté implique qu’un être ne soit déterminé à exister et à agir que par lui-même et par aucune autre cause extérieure, alors rien dans la nature n’est véritablement libre. L’idée de liberté résulte d’une ignorance des causes qui nous déterminent : les hommes sont conscients seulement de leurs actions, et pas des causes nécessaires par lesquelles elles sont déterminées.
Le seul être authentiquement libre est donc Dieu lui-même. Mais il reste une forme de liberté accessible à l’homme, celle de la compréhension de la nécessité dont est constitué le monde, qui me permettra de ne plus me bercer d’illusions sur ma capacité à être indépendant des causes extérieures.
2. La liberté malgré la nécessité
Kant constate que la liberté représente un problème par rapport à une représentation déterministe de la nature. Si tout dans la nature est déterminé par des lois nécessaires, comment peut-il y avoir une place pour la liberté ? Il refuse pour autant de nuancer ce déterminisme. Attention à bien distinguer fatalité (puissance extérieure face à laquelle on ne peut rien), et déterminisme (qui établit une connexion nécessaire entre les événements physiques mais ne se prononce pas sur l’issue des événements du monde).
Il pose alors une alternative : soit le déterminisme est vrai pour tout le réel, soit il n’est vrai que pour une partie du réel. Kant affirme alors que le déterminisme ne s’applique qu’aux phénomènes (le réel tel que nous pouvons le connaître). En dehors des phénomènes, il existe les choses en soi, qui sont les causes des phénomènes, mais que nous ne pouvons pas connaître car elles ne peuvent pas être perçues.
L’idée de liberté est maintenue par Kant, parce que la liberté est une propriété des choses en soi, alors que la détermination nécessaire par des lois de la nature est une propriété des seuls phénomènes.
3. La question du mal
Le problème de la liberté et de la nécessité est aussi celui de l’existence du mal dans le monde et de sa justification. Si tout est le produit d’une détermination nécessaire, le mal est-il lui aussi une nécessité ?
La thèse leibnizienne dite de « l’harmonie préétablie » affirme que notre monde n’est qu’une possibilité parmi une infinité d’autres mondes possibles, mais que c’est cette possibilité que Dieu a retenue parce qu’elle présentait le meilleur équilibre de bien et de mal que l’on puisse espérer. Nous sommes libres, mais tout est prévu à l’avance, y compris le pire. C’est une idée très surprenante mais maintenue par Leibniz : nos actions ne sont pas nécessaires (elles auraient pu être différentes), et donc nous sommes libres – mais tout ce que nous faisons a été prévu par Dieu dans le meilleur des mondes possibles.
Depuis le milieu du XXe siècle et l’expérience de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs philosophes ont souligné que le mal absolu du génocide perpétré par les nazis ne pouvait être compensé par aucun bien en ce monde. Cela remet en cause l’harmonie préétablie et nous replace devant notre liberté et notre responsabilité.
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Le problème du libre-arbitre
1. Pourquoi un libre-arbitre ?
D’une différence de statut politique, le problème de la liberté est progressivement devenu un questionnement sur notre capacité individuelle à vouloir indépendamment d’une cause extérieure.
L’idée de libre-arbitre provient de la nécessité de trouver une source au mal, notamment dans la philosophie chrétienne. Saint Augustin affirme ainsi que Dieu a doté l’homme du libre-arbitre pour le rendre responsable de ses actes. On ne peut donc pas imputer à Dieu l’existence du mal.
La théologie chrétienne a ainsi longuement débattu sur la grâce divine (qui désigne une faveur divine, l’influence bienveillante de Dieu sur nous) : est-elle efficace (elle produit intégralement nos bonnes actions) ou suffisante (elle nous rend capables de bien agir sans nous y déterminer) ?
2. Le plus bas degré de la liberté ?
Le libre-arbitre ainsi défini, qu’on nomme également liberté d’indifférence, désigne donc notre capacité à vouloir ou décider sans nous laisser déterminer par les causes externes à notre volonté. Selon cette logique, l’action la plus libre de toutes serait un « acte gratuit ». C’est un tel acte qui est évoqué par André Gide dans Les Caves du Vatican.
Cette liberté est, selon Descartes, le fait d’une évidence intime et indiscutable. Je suis certain que j’agis librement, en toute circonstance : mes actions sont toujours le produit d’un choix. Je le constate par ailleurs au travers du sentiment de remords.
Mais pour Descartes aussi, la pure liberté d’indifférence est le plus bas degré de la liberté. Elle est le résultat d’un défaut de connaissance, et pas d’une perfection de la volonté. Quand je choisis sans connaître, je choisis indifféremment, mais je n’en tire aucune grandeur. En revanche, le meilleur usage de la liberté est la liberté éclairée, lorsque je suis tellement convaincu de faire le bon choix qu’il m’est impossible d’hésiter. Plus je suis convaincu de faire le bon choix, plus j’ai de raisons réelles de le faire, plus je choisis librement. Choisir pour simplement choisir est une utilisation appauvrie de ma liberté.
3. La liberté vécue et constituante
Le problème de la liberté n’est pas réservé à l’introspection ou à l’examen minutieux des causes qui nous déterminent. Elle engage aussi un rapport constructif à soi : c’est par la liberté que l’individu et les peuples se construisent et existent comme tels.
La philosophie existentialiste de Jean-Paul Sartre, en s’appuyant sur l’idée selon laquelle « l’existence précède l’essence », affirme que c’est dans la liberté que l’individu fait face à sa condition véritable, à la fois absurde et riche de toutes les potentialités. Contrairement aux animaux, l’homme ne possède pas une essence qui lui dit quoi faire : il doit construire lui-même son essence (son humanité) à travers ses actions libres. C'est le sens de la formule : « l’homme est condamné à être libre ».
Le paradoxe est que c'est justement grâce à sa liberté que l’homme peut rencontrer des obstacles ou des résistances, éprouver sa volonté, et ainsi progresser en tant qu’individu. Dire que « nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons, donc nous ne sommes pas libres » est un argument fallacieux. Au contraire, c’est parce que nous rencontrons des obstacles que nous savons que nous sommes libres.
4. Liberté et politique
D’un point de vue plus général, l’idée de liberté continue de faire l’objet de revendications politiques. Quelle que soit sa forme, l’appel à la liberté reste un élément moteur de l’histoire des peuples. La tension entre liberté individuelle et liberté collective y est directement liée : un peuple réclame sa liberté pour se construire, mais cette souveraineté peut aussi être l’ennemie de la liberté individuelle. Bien des régimes se réclamant d’une légitimité « populaire » (ex-URSS, Chine) ont été très peu respectueux des droits des individus.
Les modernes fixent à l’État la tâche de préserver les libertés individuelles. Benjamin Constant indique ainsi que nous n'accepterons plus que l’État légifère sur nos croyances et impose une foi officielle, comme ce fut le cas en Grèce antique. Tocqueville ajoute que l’abandon de l’exercice de la citoyenneté au profit d’un État centralisateur n’est pas suffisant pour garantir l’autonomie, la liberté suppose de ne point obéir à un maître.
Cependant, il convient d’introduire une nuance entre la possession de la liberté et la valeur de son exercice. Rawls introduit cette distinction et la précise en séparant la possession théorique d’un droit à la liberté et l’exercice pratique de ce droit en fonction des conditions sociales et économiques d’un individu. Ainsi la misère interdit l’accès au projet de vie. Alors même que le projet reste libre, cette liberté est irréalisable donc sans valeur.
Enfin, la liberté résulte aussi de combats pour l'émancipation. Elle est alors la finalité poursuivie par des groupes qui revendiquent l’acquisition concrète de ce que les principes promettent en droit. Simone de Beauvoir ou Olympe de Gouges ont montré que la liberté des femmes supposait un combat politique et social pour changer les représentations mentales et culturelles associées habituellement au genre féminin.