Il ne faut pas confondre l’art et les beaux-arts : à l’origine, l'art a un sens plus général, il désigne l’artisanat technique, la technè en grec ancien (expression « arts et métiers ») tandis que les beaux-arts (la peinture, la musique, la sculpture, etc.) sont les techniques qui visent à produire de belles œuvres, des œuvres qui plaisent par elles-mêmes.
Jusqu’à la Renaissance, « artiste » et « artisan » ont le même sens. Au mieux, l’artiste est un artisan dont le travail est d’une qualité exceptionnelle.
La notion actuelle d’esthétique (de aisthesis, « sensation » en grec ancien) et la liaison entre « art » et « beauté » viennent du siècle des Lumières (XVIIIè siècle), durant lequel la question du goût devient un thème central de la pensée philosophique. « Art » est alors équivalent à « Beaux-Arts ».
2. L’art comme imitation de la beauté naturelle
Lorsqu’il est identifié à l’artisanat, l’art correspond à une activité soumise à des règles, dont le respect garantit la perfection de l’objet. L’objet ainsi produit pourra être qualifié de « beau », comme par exemple une belle chaise, un beau couteau, une belle charpente, etc.
On peut qualifier d'art « imitatif » l'art dont l’idéal et les règles sont de reproduire avec la plus grande fidélité les objets de la nature et la beauté naturelle. C’est une technique qui, pour fonctionner, demande des règles : on parle de « canon » pour désigner les règles (notamment de proportion) permettant de reproduire correctement des êtres réels.
Platon distingue les idéaux respectifs de ces deux activités : l’artisan est celui qui recherche « l’Idée » de l’objet qu’il fabrique. L’artiste-peintre a pour objectif de reproduire simplement l’apparence des objets tels qu’ils existent dans le monde sensible. En résumé, l’artiste est uniquement dans la copie imitative et l’apparence. L’artisan, qui fabrique des choses réelles, est donc plus proche de la vérité.
3. L’art comme création d’une beauté nouvelle
On dit volontiers d’un artiste qu’il est « créatif ». Ce terme désigne une capacité à produire quelque chose d’entièrement nouveau, qui ne se réduit à rien de ce qui l’a précédé. Selon le peintre Paul Klee, « l’art rend visible l’invisible ». On peut donc dire que l’art possède un rapport à la vérité. Mais il s’agit plus de montrer le réel sous un angle nouveau, que de reproduire une vérité déjà connue. Un artiste ne se contente pas de reproduire la beauté naturelle, mais tente d’en proposer une expression jamais vue auparavant.
Kant définit le « génie » comme l’artiste qui ne se contente pas d’imiter la nature par obéissance à un certain nombre de règles fixes, mais comme celui à travers lequel la nature s’exprime authentiquement, et donne à l’art de nouvelles règles. Cette identification du véritable artiste au « génie » est une figure romantique qui voit dans l’art le moyen de modifier, voire de révolutionner notre perception des choses.
Platon distingue les idéaux respectifs de ces deux activités : l’artisan est celui qui recherche « l’Idée » de l’objet qu’il fabrique. L’artiste-peintre a pour objectif de reproduire simplement l’apparence des objets tels qu’ils existent dans le monde sensible. En résumé, l’artiste est uniquement dans la copie imitative et l’apparence. L’artisan, qui fabrique des choses réelles, est donc plus proche de la vérité.
4. L’art et l’esprit
Hegel voit dans l'histoire de l'art le révélateur des moments les plus significatifs de l’évolution de l’esprit universel, ou conscience de l’humanité. L’art est ce à travers quoi une société se renvoie sa propre image spirituelle. Une œuvre d’art est pour nous un moyen de contempler notre propre humanité.
Il soutient également que notre époque se situe après la « fin (ou mort) de l’art », puisque désormais notre spiritualité consiste moins à contempler l’art qu’à réfléchir sur lui au sein d’une philosophie de l’art, une esthétique.
L’art moderne pose sans cesse la question du statut de l’œuvre d’art, la question de notre rapport à l’art, ce qui n’était pas le cas des formes antérieures de création artistique (mouvement du « ready made »). Il instaure un nouveau rapport à l’expression spirituelle, il est un « art de l’idée » et révèle une forme de spiritualité qui a pas été préalablement découverte dans le monde. Merleau-Ponty disait ainsi « l’art moderne nous oblige à comprendre ce que c’est qu’une vérité qui ne ressemble pas aux choses, qui soit sans modèle extérieur. »
Cependant, pour d’autres auteurs, l’art contemporain ne parle plus aux hommes de ce siècle et se résume à n’être que l’affligeant constat de la perte de créativité. Ainsi Baudrillard écrit : « La majeure partie de l'art contemporain s'emploie exactement à cela : à s'approprier la banalité, le déchet, la médiocrité comme valeur et comme idéologie. »
Comment alors juger de la valeur de l’art ?
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Le jugement de goût
1. Goût et désir
Dire que l’on « aime » ou que l’on éprouve du plaisir au contact d’une chose peut être confondu avec le fait de la trouver « belle ». Mais une impression de beauté peut être uniquement due au désir subjectif que l’on ressent : cette impression serait alors « intéressée », alors que la contemplation de la beauté serait « désintéressée ». L’œuvre d’art a sa finalité en elle-même, elle n’est pas censé plaire pour autre chose qu’elle-même.
Kant distingue ainsi le goût, qui consiste à reconnaître et à contempler la beauté d’une chose, et le désir (qui porte sur l’agréable et le bon), qui est censé aboutir à une certaine forme de satisfaction. Dire « ceci est beau » est un jugement de goût. Dans les deux cas, il y a bien du plaisir, mais le sens de ce sentiment change radicalement selon l’objet concerné. Par exemple, je désire manger, et ressentir du plaisir en me nourrissant ; c'est très différent du fait de contempler une nature morte représentant des fruits et des mets délicats.
2. Subjectivité et objectivité du jugement de goût
L’art est une activité soumise à des règles. On pourrait penser que ces règles établissent aussi les critères qui permettent de juger si une œuvre est « belle » ou non. Il y aurait donc un beau objectif et aisément mesurable par quiconque.
Mais ces critères permettent de mesurer l’académisme d’une œuvre plutôt que sa beauté authentique. Le plaisir ressenti face à un objet naturel ou un objet d’art dépend de nombreux facteurs : l'éducation, les codes culturels, le caractère individuel, etc. L’émotion qui détermine la perception du beau est donc largement subjective. On pourrait alors penser que la perception de la beauté dépend de la situation particulière de chacun plutôt que des caractéristiques fixes de l'objet.
3. Débat et critique autour du beau
Nous attendons d’autrui qu’il partage notre goût pour une belle rose, ou un beau morceau de musique, ou nous désirerons au moins argumenter pour le faire pencher en ce sens. Ce n’est pas le cas des objets que nous apprécions dans d’autres domaines.
Kant utilise la notion de « sens commun » pour exprimer cette nécessité que nous ressentons de faire appel à l’assentiment d’autrui dans l’appréciation de la beauté. Si je dis « je trouve que ce morceau de musique est agréable », j’attends qu’on partage mon sentiment et je fais donc appel au sens commun. Ce n’est pas le cas si je dis « je déteste les carottes ».
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Le sens de l’œuvre d’art
1. Quand y a-t-il art ?
La question de l’ontologie de l’œuvre d’art, de sa manière propre d’exister, doit être distinguée du problème de la beauté et de celui du jugement que l’on porte sur elle.
En art contemporain notamment, est apparue l’idée selon laquelle l’œuvre ne se réduit pas à un ensemble de qualités réelles, mais au contexte et au moment à l’intérieur desquels elle apparaît comme une œuvre d’art.
Le jugement esthétique est ce qui fait exister l’œuvre d’art, ce sans quoi il n’y a pas d’œuvre d’art. Elle est un événement, une performance, et non pas un objet existant indépendamment de ceux qui le jugent.
2. Toute œuvre d’art n’est pas nécessairement belle
Une œuvre n’est pas artistique parce qu’elle est belle. Il existe une esthétique du laid : la catharsis se produit face à ce qui produit en nous terreur et pitié : c’est cela qui permet à la tragédie, selon Aristote, de « purger nos passions ». De plus, on peut être artiste sans produire un chef-d’œuvre.
Un chef-d’œuvre n’a pas nécessairement pour qualité essentielle d’être beau. La portée d’une œuvre d’art se mesure autant à son impact intellectuel, moral ou symbolique qu’à sa beauté supposée. Cet impact est directement lié au fait que l’œuvre d’art est une re-présentation, c’est-à-dire quelque chose qui « présente à nouveau », sous un autre angle, et non une chose existant de la même façon qu’un objet naturel.
Kant évoque par exemple la catégorie du sublime, pour montrer que notre émotion esthétique ne se limite pas à l’agrément produit par la beauté : le sublime nous frappe parce que sa représentation excède ce que notre entendement peut mesurer, et nous renvoie à notre propre finitude. Lorsque je contemple les pyramides d’Egypte, le ciel étoilé, ou la mer déchaînée, je prends conscience de dimensions qui nous dépassent infiniment (aussi bien dans l’espace que dans le temps).
3. L’œuvre d’art et la question du sens
Si l’art ne se définit pas essentiellement par la visée du beau, c’est la visée du sens qui le caractérise le plus nettement. Toute œuvre d’art tend à faire sens, à frapper le spectateur par la richesse ou la profondeur de l’expérience qu’elle lui donne à éprouver.
Merleau-Ponty souligne que l’œuvre d’art n’a pas pour objet fondamental la représentation figurative et agréable d’une scène donnée : l’intérêt du tableau tient à la façon dont il se réfère à lui-même, et l’œuvre nous donne ainsi à réfléchir sur la façon dont nous percevons le monde.
Dans l’art engagé, l’art possède une fin qui ne dépend pas uniquement de sa beauté : faire passer un message, réveiller les consciences en les frappant par sa représentation. Nous ne sommes plus dans l’optique d’un art « désintéressé », mais dans celle d’un art où les qualités de l’artiste sont mises au service d’une cause précise.
Que l’art soit sa propre fin, ou qu’il serve une finalité sociale ou politique, sa valeur ne tient pas à ce qu’il représente, mais à la qualité de la représentation elle-même. Kant rappelle qu’une belle œuvre n’est pas la représentation d’une belle chose, mais la belle représentation d’une chose. Le sens de l’œuvre n’est donc pas dans son sujet, mais au sein de la démarche artistique . Paul Cézanne déclare ainsi : « Peindre signifie penser avec son pinceau »