La science désigne ce qui unit les sciences en une seule exigence. Cependant elle désigne deux acceptions : commune pour l’une, philosophique pour l’autre.
Au sens commun, la science est un savoir (au sens large, il existe donc une science de la pêche à la mouche, du jardinage ou des confitures)
Dans son sens philosophique, la science est un jugement qui porte sur le monde (la physique) ou sur un ensemble de propositions logiques (les mathématiques) et qui établit les lois de ce domaine par une méthode basée sur la vérification ou/et la cohérence des énoncés.
Parce qu’elle établit une connaissance, la science ne se confond pas avec le savoir, ni avec le savoir-faire. Un savoir est particulier, une connaissance est générale et à portée universelle ; un savoir ne fournit pas les causes de son efficacité, une connaissance est établie par un travail profond de recherche des causes ; une connaissance n’a pas forcément d’applications opératoires, un savoir est coordonné à un « agir » potentiel.
Ainsi les Grecs, les Saxons et les Vikings savaient que les marées existent et, par habitude, ils pouvaient très partiellement les anticiper. Mais il faut attendre Newton et l’essor des mathématiques pour que l’on connaisse la cause des marées et que l’on puisse les prévoir avec suffisamment de précision pour établir un calendrier.
Difficile de trouver un dénominateur commun à toutes les sciences, tant leurs objets diffèrent. Il peut s’agir des êtres vivants (biologie), de la société (sociologie), de la structure du cosmos (astrophysique), des signes linguistiques (linguistique), ou de la quantification des répétitions et de leurs occurrences (statistiques et probabilités).
Tant de diversité des objets d’étude se traduit par des approches méthodologiques variées, parmi lesquelles il est possible de trouver des cohérences dans la démarche rationnelle permettant de définir la science dans sa variété.
2. Induire et interpréter une observation
Induire consiste à observer des faits pour extraire une loi récurrente de comportement. Mais observer n’est pas voir, cela suppose de s’extraire des particularités du sensible pour ne prendre en considération que les éléments communs et répétitifs.
Ainsi la sociologie est une science de l’observation des comportements récurrents des hommes dans la société. Chacun de ces hommes est nié dans sa singularité au profit d’une prise en compte de cohortes. La sociologie, ainsi que l’exprime Durkheim, est une science de l’observation et de l’hypothèse. Mais les hypothèses ne peuvent pas être vérifiées par un protocole expérimental strict, car les faits humains reposent sur la liberté des agents et qu’ils ne sont pas reproductibles, donc non expérimentables. Il ne s’agit donc pas d’un protocole hypothético-déductif, mais d’une démarche d’interprétation des répétitions de comportements mesurées statistiquement. De nombreuses sciences humaines reposent sur des méthodes scientifiques d’enquête qui se soldent par une interprétation des résultats, naturellement soumise à un débat.
3. La logique : le raisonnement déductif
Le raisonnement déductif tire de principes ou de prémisses des constats, puis des conclusions reliés logiquement.
La déduction ne peut donc, au sens strict, être déployée que dans les sciences formelles, dites aussi sciences pures, sciences du symbole ou eidétiques (du grec eidos, l’idée).
Ainsi la géométrie déduit de principes, postulats et axiomes des conclusions logiques, mais elle n’a pas la prétention de décrire le réel. La science ici ne cherche qu’à établir la cohérence interne de ses propositions.
Dans le cadre de ces sciences, l’intuition n’a pas droit de cité, car c’est à partir d’un objet défini, et non découvert dans la nature, que le raisonnement se construit et se déploie. Ainsi, on ne peut vérifier la valeur d’une proposition qu’en utilisant la démonstration, dans le système construit par la raison que l’on nomme « l’axiomatique ». Par exemple, démontrer le théorème de Pythagore consiste à remonter toutes les étapes logiques qui ont prévalu à son établissement et pouvoir rendre raison de chacune, en établissant le lien logique qui la relie à la précédente, jusqu’aux axiomes et postulats de la géométrie.
4. La vérification : le raisonnement hypothético-déductif
Les sciences expérimentales, dites aussi sciences de la nature, reposent sur une approche du réel par un raisonnement hypothético-déductif.
Cette démarche repose sur la vérification expérimentale d’une hypothèse formulée à propos des causes qui permettraient d’expliquer l’enchaînement des phénomènes naturels observés.
Il s’agit donc de prendre appui sur l’observation du réel — d’où l’importance des moyens techniques disponibles — pour s’en abstraire, en validant les hypothèses par un protocole expérimental et en les quantifiant par une mathématisation des données récoltées.
Les sciences expérimentales légifèrent sur la nature, elles émettent des « lois de la nature » considérées « vraies » tant qu’une observation contraire n’est pas réalisée.
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Les critères de scientificité
1. L’évidence et l’universalité
L’évidence :
« Démarrer » est probablement le point le plus délicat d’une science, il faut trouver un point fixe pour « soulever le monde » comme le dit métaphoriquement Archimède à propos du levier.
C’est le rôle de l’axiome d’être la pierre fondatrice de la démarche. Mais comme Euclide le remarque dans les Éléments, si l’axiome est évident, le postulat doit être admis et ne s’impose en rien à notre entendement.
Il existe donc un doute initial sur les fondations de la science. En géométrie, les bases seront remises en cause, ce qui aboutira à des géométries non euclidiennes, différentes de celle qui est enseignée à l'école, mais tout aussi cohérentes et parfois utiles pour s’approprier un réel complexe. Difficile donc de maintenir le critère de l’évidence, même dans les sciences eidétiques, à moins de miser sur des idées innées « claires et distinctes », ainsi que le propose Descartes.
L’universalité :
Que vaudrait une science hic et nunc (de l’ici et du maintenant) ? Au contraire, le critère le plus permanent de la science est de s’abstraire des conditions particulières pour établir une loi valable de tout temps, en tous lieux, et pour tout homme, c'est-à-dire une loi universelle.
La loi scientifique fixe bien sûr son contexte d’application, son domaine de définition, mais elle prononce aussi son universalité dans ce cadre.
Ce critère semble inatteignable non seulement pour les sciences humaines, mais aussi pour les sciences expérimentales. Ainsi, la gravitation universelle de Newton a-t-elle été intégrée comme une particularité locale à la théorie de la relativité générale d’Einstein. Il convient donc de parler d’une visée universelle, expression plus modeste, mais qui permet d’expliquer la dynamique du progrès de la science sans sanctifier idéologiquement ses conclusions.
2. La simplicité ou principe d’économie
Ce que l’on nomme souvent le rasoir d’Occam désigne un principe d’économie formulé par cet auteur. Il s’agit de toujours préférer l'explication qui mobilise moins d’éléments, d’axiomes ou de principes à une autre théorie, quand bien même cette dernière serait tout aussi efficace pour décrire, mais moins économe.
C’est aussi en ce sens que l’on utilise la notion de simplicité en science : elle ne désigne jamais la facilité à établir une loi ou à la comprendre, mais toujours le principe suivant lequel une économie dans la formulation peut permettre de déployer une grande intelligibilité. Ainsi, E = MC2 est une formule très simple, puisque trois variables (la masse, la célérité et la notion mathématique de carré) permettent de définir l’énergie et de mesurer la correspondance masse/énergie dans l’univers. Par contre, personne ne prétend que la formule soit facile ni à établir ni à comprendre.
3. Méthode et protocole
La raison scientifique n’est pas discursive et contradictoire, elle cherche à conduire ses recherches avec rigueur, pour aboutir à des certitudes. Cette double quête amène les sciences pures à établir une méthode de raisonnement, et les sciences de la nature à suivre un protocole expérimental. La méthode a notamment été exposée par Aristote dans son traité de logique, L’Organon, ainsi que par Descartes dans le Discours de la méthode. (voir le cours sur la raison)
Le protocole expérimental repose sur un ensemble d’étapes décrites par le physiologiste Claude Bernard dans le cadre du raisonnement hypothético-déductif :
Faire l’expérience du monde, observer la nature ;
Faire l’hypothèse d’une loi qui expliquerait l’observation ;
Faire l’expérimentation de l’hypothèse en « forçant » le réel à répondre ;
Faire une autre hypothèse si la première est invalidée ;
Faire une contre-expérimentation si l’hypothèse est validée.
Il faut bien noter que l’expérience est présente au début du protocole, puis elle est remplacée par l’expérimentation, qui est un réel contrôlé et encadré. Enfin, la loi n’appartient plus au réel, mais à la rationalité humaine appliquée au réel. Il ne s’agit donc pas de se satisfaire de l’empirisme, c’est-à-dire de ce que l’expérience permet d’induire . Claude Bernard déclare ainsi dans son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale : « L’empirisme est un donjon étroit et abject d’où l’esprit emprisonné ne peut s’échapper que sur les ailes d’une hypothèse ».
Le protocole expérimental est utilisé dans de nombreux domaines, notamment dans l'industrie pharmaceutique. Lorsqu'on teste un médicament, on fait le pari – hypothèse – qu’une molécule aidera l’organisme à se défendre, puis on l’administre à un panel de patients – échantillon représentatif – et on observe les résultats – en quelque sorte, on « force » le réel à répondre. Si les résultats sont positifs, on administre à un panel de patients un placebo (un traitement sans aucun principe actif) et on soustrait l’efficacité du placebo à celle du médicament – contre-expérimentation. Ainsi, admettons que le médicament se montre efficace pour 60 % des patients et que le placebo est efficace pour 20 % des patients atteints de la même affection, on en déduit que le médicament est plutôt inefficace, puisqu’il est efficace à 40 % (60 - 20).
4. La falsifiabilité
L’étape la plus importante du protocole expérimental est celle qui est souvent négligée par le grand public : la contre expérimentation. Sans elle, impossible de savoir si une hypothèse n’est pas infirmée par des mesures réalisées, donc aucune conclusion, serait-elle issue d’une expérimentation, ne fait loi.
C’est en suivant cette même idée que Karl Popper théorise le concept de falsifiabilité. Une loi n’est scientifique que si elle peut fournir une expérimentation susceptible de l'infirmer.
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Penser la science : l’épistémologie
1. Connaissance ou modèle ?
La science légifère et son progrès permet d'accroître nos connaissances. Cette thèse rassurante et naïve se heurte à la réalité historique des sciences et à la complexité des objets. Il faut alors penser la science elle-même et non pas seulement ses objets de recherche. Tel est le rôle de l’épistémologie : enquêter et interroger les modes d’élaboration de la connaissance.
Heidegger notait que la science ne fait pas retour sur ses propres protocoles. De façon polémique, il déclarait ainsi : « la science ne pense pas ». Autrement dit, elle raisonne, elle établit des protocoles, elle suit des méthodes, mais elle ne se pense pas. On peut comprendre facilement la nécessité d’une épistémologie dans le domaine des sciences du vivant.
Contrairement à la physique ou aux mathématiques, dont les objets peuvent être distinctement définis, la biologie étudie une matière animée, sans cesse en changement et en réaction avec son milieu. Elle semble donc relever d’une certaine exception. C’est la raison pour laquelle le vivant semble exclure toute règle générale, car il est par essence marqué d’une originalité irréductible. Canguilhem soutient ainsi que « l’intelligence ne peut s’appliquer à la vie qu’en reconnaissant l’originalité de la vie. La pensée du vivant doit tenir du vivant l’idée du vivant ». Avec l’exemple du hérisson traversant les routes, Canguilhem montre que le vivant qu’est le hérisson ne perçoit pas la route construite par des hommes comme construite par et pour des hommes, car elle lui est étrangère, elle n’appartient pas à son monde de hérisson. Sans une réflexion sur la manière dont la science pense son objet, en l'occurrence le vivant, ce dernier reste insaisissable par la science comme la route l’est pour le hérisson.
Pour établir une science du vivant, il pourrait être nécessaire, comme dans toute science, de penser en termes de méthode : or, s’agissant du vivant, la méthode est précisément ce qui pose problème. Par une boutade, Canguilhem fait remarquer : « Nous soupçonnons que, pour faire des mathématiques, il nous suffirait d’être anges, mais pour faire de la biologie, même avec l’aide de l’intelligence, nous avons besoin parfois de nous sentir bêtes ». Autrement dit, il faut d’abord refuser d’appliquer des concepts figés au vivant du fait de son caractère unique.
On préférera alors à la notion de « loi », figée, universelle et certaine, celle de « modèle », évolutif et laissant une place à l’indétermination. Ainsi la théorie fixiste, qui considère que toutes les espèces sont créées par Dieu de manière définitive et fixe, est remplacée par le modèle évolutionniste de Lamarck, lui-même supplanté par le modèle de Darwin, lui-même nuancé et intégré dans le modèle phylogénétique contemporain.
2. Progrès ou révolution ?
Le scientisme du XIXe siècle, qui pose que les sciences expérimentales sont les seules connaissances fiables et qu’elles parviendront à rendre compte du tout de la réalité, était bercé par un espoir primitif : le progrès continu et cumulatif des connaissances.
Cette conception de la science néglige la réalité de son évolution. On doit au philosophe et épistémologie Thomas Kuhn un démenti érudit de cette superstition. Il démontre, en s’appuyant sur des exemples tirés de l’histoire des sciences, qu’il n’y a pas de progrès en science, mais des révolutions. Une science évolue donc par des « sauts », et chacun d’eux implique un changement de regard sur le monde.
La communauté scientifique commence par établir une première unification des connaissances dans un paradigme initial qui définit « la science normale », c’est-à-dire communément acceptée par le plus grand nombre. Mais des faits discordants, des anomalies, sont observés, qui remettent en question le paradigme initial, pourtant maintenu tant qu’il est efficace. Ces anomalies sont explorées sous la pression d’enjeux souvent extérieurs à la science (philosophie, religion, économie). Cela conduit à la remise en cause du paradigme ancien et à la l'émergence d’un nouveau paradigme qui, lui-même, génère un champ expérimental nouveau ou/et repose sur des instruments récemment disponibles (lunette astronomique, microscope).
La confrontation des deux paradigmes (ancien et nouveau) crée la crise de la science, et lorsque le paradigme extraordinaire (c'est-à-dire nouveau) remplace celui de la science normale (c'est-à-dire ancien), nous assistons à une révolution scientifique : le paradigme extraordinaire est finalement admis comme normal.
3. La notion de vérité scientifique
Il existe deux grandes définitions de la vérité en science. Les sciences pures établissent qu'un énoncé est vrai s'il est décidable et conforme à la cohérence du système, c’est donc une vérité de cohérence. Les sciences expérimentales considèrent qu’une loi de la nature est vraie lorsqu’elle est établie par une expérimentation et n’est pas contradictoire avec les observations du réel, c’est donc une vérité de conformité.
Mais cette notion de vérité est figée ; or ce que montre Thomas Kuhn, c’est que tout paradigme scientifique sera « révolutionné » et avec lui, les vérités qu’il a générées. Ainsi plutôt que de parler de vérité en science, peut-être vaudrait-il mieux adopter le concept qu’utilise Popper à la suite de Leibniz : la vérisimilitude. Une théorie vérisimilaire est une théorie qui est falsifiable, qui est testée, et qui résiste efficacement à la contradiction. Son degré de vérisimilitude augmente à chaque tentative de mise en cause qui échoue. Cette vérisimilitude à l’avantage de proposer une définition de la vérité scientifique qui prend en compte son élaboration historique, sans aboutir au scepticisme ou à une ère stérile de post-vérité.
4. Former un esprit scientifique
Plutôt que d’aborder la science comme un champ de connaissances constituées, de méthodes et de lois, on peut tenter d’approcher l’élaboration de ses connaissances en étudiant le fonctionnement psychologique des scientifiques, et tout particulièrement la manière dont ils sont formés.
Bachelard, dans La formation de l’esprit scientifique, expose l’objectif essentiel de la science et de la formation de l’esprit du scientifique : combattre l’opinion. L’opinion ne pense pas, elle pense mal, et s’il lui arrive d’aboutir à un résultat vérifiable, c’est sans construction rationnelle et sans valeur explicative.
Les scientifiques sont pourtant souvent sujets à l’opinion qui, dans le cadre de leur recherche, est un obstacle épistémologique majeur. Il s’agit d’abord d'affirmer que l’on ne peut connaître que contre une connaissance antérieure. Ensuite, une connaissance est une réponse à une question : sans cette phase de questionnement, la pensée démissionne au profit du dogmatisme. Il ne s’agit donc pas de privilégier l’instinct conservatif, mais de faire prévaloir l’instinct formatif des jeunes scientifiques. Bachelard parle d’« instinct » car il lui semble que l’idée scientifique est toujours, primitivement, chargée d’affects qui gênent sa « fine pointe abstraite ».
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La responsabilité de la science
1. Science sans conscience
Si Rabelais rappelait déjà que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », c’est surtout à partir du XXe siècle que la question de la limite éthique de la science se pose.
C’est tout d’abord dans le cadre de la biologie qu’une limite éthique a semblé nécessaire, mais depuis que la connaissance de l’atome a rendu possibles Hiroshima, Tchernobyl, et Fukushima, la question de la responsabilité morale concerne toutes les sciences de la nature. Les sciences pures sont aussi concernées, à travers les algorithmes de traitement des données, le croisement des Big data, ainsi que l’accroissement de la surveillance qu’ils permettent.
Dans son sens philosophique, la science est un jugement qui porte sur le monde (la physique) ou sur un ensemble de propositions logiques (les mathématiques) et qui établit les lois de ce domaine par une méthode basée sur la vérification ou/et la cohérence des énoncés.
On le voit, ce n’est pas tant la science, en tant que puissance de connaître qui est soumise au jugement moral, que la technoscience, définie comme l’unité entre la connaissance et le développement de techniques qui modifient la nature et la société, sans que l’assentiment du citoyen ne soit systématiquement interrogé.
2. Le principe de responsabilité
Il peut alors apparaître urgent de pouvoir suivre un principe directeur qui fixe des limites éthiques au développement technoscientifique. Hans Jonas le nomme « principe de responsabilité ». Il consiste d’abord à distinguer le champ du possible et le champ du réalisé : tout ce qui peut être créé ne doit pas nécessairement l’être. Cela constitue une réelle mutation de notre rapport à l’agir humain. En effet, au lieu d’avoir une foi inconsidérée dans le progrès, il s’agit de critiquer les conditions de possibilité d’un tel progrès pour que l’humain cesse d’être « son pire ennemi », suivant le mot de Jonas.
La formulation du principe de responsabilité est corrélée à l’impératif catégorique de Kant et reçoit plusieurs itérations : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » ou « inclus dans ton choix actuel l’intégrité future de l’homme comme objet secondaire de ton vouloir ».
Au fond, il s’agit toujours de juger la valeur de la technoscience dans ce qu’elle peut produire de pire dans le futur. On utilise souvent le principe de responsabilité comme fondement du principe de précaution, qui consiste à dire que le pire étant possible, en cas de doute, mieux vaut s’abstenir. Pourtant il s’agit plutôt de sacraliser le droit des générations futures. Il faut donc admettre que la limite de la science, dans ses applications pratiques, est une métaphysique, une idée du sacré, qui se distingue pourtant du religieux.
3. Religiosité scientifique
La religiosité n’est pas absolument absente de la science comme pourrait le laisser penser la distinction entre croire et savoir. Mais la religiosité peut prendre d’autres significations. Ainsi Einstein considère que le scientifique doit croire pour pouvoir établir une connaissance. Il porte donc la responsabilité de cette croyance primitive nécessaire à sa démarche.
La religiosité dont il est question n’est pas liée au respect ou à la pratique de rites, ni à l’observation stricte de préceptes de vie conformes à une révélation, ni à l’appartenance à une église. Elle consiste dans la foi en un ordre cosmique, un principe organisateur du monde. Le scientifique est pénétré par « l’admiration extasiée de l’harmonie des lois de la nature ». Pourtant, l’idée même d’un ordre, d’une harmonie ou d’un cosmos n’est pas indifférente à l'histoire des valeurs occidentales. Ainsi le chercheur croit dans la vérité comme Nietzsche s’est attaché à le révéler.