Épictète : le bonheur réside dans le fait de s’occuper de ce qui dépend de nous
« Parmi les choses, les unes dépendent de nous, les autres n’en dépendent pas. Celles qui dépendent de nous, ce sont l’opinion, la tendance, le désir, l’aversion : en un mot, tout ce qui est notre œuvre. Celles qui ne dépendent pas de nous, ce sont le corps, les biens, la réputation, les dignités : en un mot, tout ce qui n’est pas notre œuvre. Et les choses qui dépendent de nous sont par nature libres; nul ne peut les empêcher, rien ne peut les entraver ; mais celles qui ne dépendent pas de nous sont impuissantes, esclaves, sujettes à empêchement, étrangères à nous. Souviens-toi donc que, si tu crois libres ces choses qui, de par leur nature, sont esclaves, et propres à toi celles qui sont étrangères, tu seras entravé, affligé, troublé, tu accuseras dieux et hommes. »
Épictète, Entretiens, Ier siècle
Nietzsche : la conception ordinaire du bonheur amoindrit la puissance de l’homme
« Toutes ces morales qui se proposent de faire le "bonheur" de l’individu, comme on dit, qu’offrent-elles sinon des compromis avec le danger qui menace la personne de l’intérieur ; des recettes contre ses passions, ses bons et ses mauvais penchants, dans la mesure où ils aspirent à dominer et à régner sur la conscience ; de petites et grandes roueries, des artifices qui dégagent un relent de pharmacie domestique et de sagesse de bonne femme ? Toutes présentent des formes baroques et déraisonnables, parce qu’elles s’adressent à "tout le monde", parce qu’elles généralisent là où on n’a pas le droit de généraliser ; toutes s’expriment dans l’absolu et se donnent pour absolues ; toutes sont dépourvues du moindre grain de sel […]. »
Nietzsche, Par-delà bien et mal, 1886
Aritoste : le bonheur suppose d’avoir des amis
« L’amitié est une certaine vertu, ou ne va pas sans vertu ; de plus, elle est ce qu’il y a de plus nécessaire pour vivre. Car sans ami, personne ne choisirait de vivre, eût-il tous les autres biens […]. Et dans la pauvreté comme dans toute infortune, les hommes pensent que les amis sont l’unique refuge. L’amitié d’ailleurs est un secours aux jeunes gens, pour les préserver de l’erreur ; aux vieillards, pour leur assurer des soins et suppléer à leur manque d’activité dû à la faiblesse ; à ceux enfin qui sont dans la fleur de l’âge, pour les inciter aux nobles actions. »
Aristote, Éthique à Nicomaque, IVe siècle av. J.-C.
Épicure : la vie heureuse consiste à satisfaire les désirs naturels et à fuir les désirs vains
« Tout ce qui est naturel s’acquiert aisément, malaisément ce qui ne l’est pas. Les saveurs ordinaires réjouissent à l’égal de la magnificence dès lors que la douleur venue du manque est supprimée. Le pain et l’eau rendent fort vif le plaisir, quand on en fut privé. Ainsi, l’habitude d’une nourriture simple et non somptueuse porte à la plénitude de la santé, elle rend l’homme capable d’accomplir aisément ses occupations. [ …] Car la vie de plaisir ne se trouve pas dans d’incessants banquets et fêtes, ni dans la fréquentation de jeunes garçons et de femmes, ni dans la saveur des poissons et des autres plats qui ornent des tables magnifiques, elle est dans un raisonnement vigilant qui s’interroge sur les raisons d’un choix ou d’un refus, délaissant l’opinion qui avant tout fait le désordre de l’âme. »
Épicure, Lettre à Ménécée, IIIe siècle av. J.-C.
Machiavel : le bonheur n’est pas qu’une question de chance, nous pouvons influer sur la fortune par la vertu
« Je n'ignore pas cette croyance fort répandue : les affaires de ce monde sont gouvernées par la fortune ; les hommes ne peuvent rien y changer si grande soit leur sagesse ; il n'existe même aucune sorte de remède. [...] Cependant, comme notre libre arbitre ne peut disparaître, j'en viens à croire que la fortune est maîtresse de la moitié de nos actions, mais qu'elle nous abandonne à peu près l'autre moitié. Je la vois pareille à une rivière torrentueuse qui dans sa fureur inonde les plaines, emporte les arbres et les maisons [...]. Il n'empêche que les hommes, le calme revenu, peuvent prendre certaines dispositions, construire des digues et des remparts [...]. Il en est de même de la fortune : elle fait la démonstration de sa puissance là où aucune vertu ne s'est préparée à lui résister ; elle tourne ses assauts où elle sait que nul obstacle n'a été construit pour lui tenir tête. »
Machiavel, Le Prince, 1532
Pascal : le malheur des hommes vient du fait qu’ils ne savent demeurer seuls dans une chambre
« J’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. […] Quelque condition qu’on se figure, où l’on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste du monde ; et cependant, qu’on s’en imagine accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher, s’il est sans divertissement, et qu’on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu’il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point […] ; de sorte que, s’il est sans ce qu’on appelle divertissement, le voilà malheureux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets, qui joue et se divertit. »
Pascal, Pensées, Pensée 139, 1656
Kant : le bonheur est subjectif et ne correspond à aucune une loi ou maxime universelle
« Alors que d’ordinaire une loi universelle de la nature fait que tout concorde, [dans le cas du bonheur], si l’on voulait attribuer à la maxime la généralité d’une loi, il s’ensuivrait exactement le contraire même de l’accord, le pire des conflits et le complet anéantissement de la maxime elle-même et de sa fin. Car la volonté de tous n’a pas alors un seul et même objet, mais chacun a le sien (son propre bien-être) qui peut certes fortuitement s’accorder avec les intentions des autres, que ces autres rapportent également à eux-mêmes ; mais qui est loin de suffire aux exigences d’une loi, parce que les exceptions que l’on est autorisé à faire occasionnellement sont alors en nombre infini, et ne peuvent être comprises d’une manière déterminée dans une règle universelle. »
Kant, Critique de la raison pratique, 1788
Schopenhauer : l’homme est toujours insatisfait, il ne voit son bonheur que lorsqu’il le perd
« Nous ressentons la douleur, mais non l’absence de douleur ; le souci, mais non l’absence de souci ; la crainte, mais non la sécurité. Nous ressentons le désir, comme nous ressentons la faim et la soif ; mais le désir est-il rempli, aussitôt il en advient de lui comme de ces morceaux goûtés par nous et cessent d’exister pour notre sensibilité, dès le moment où nous les avalons. […] La douleur et la privation peuvent produire une impression positive et par là se dénoncer d’elles-mêmes. Le bien-être, au contraire, n’est que pure négation. Aussi n’apprécions-nous pas les trois plus grands biens de la vie, la santé, la jeunesse et la liberté, tant que nous les possédons ; pour en comprendre la valeur, il faut que nous les ayons perdus [...]. Que notre vie était heureuse, c'est ce dont nous ne nous apercevons qu’au moment où ces jours heureux font place à des jours malheureux. »
Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, 1818