Cicéron : l’homme est capable de sentir ce qui doit être
« Et ce n’est pas une infime qualité de sa nature et de sa raison, que seul, cet être vivant [l’homme] ait le sentiment de ce qu’est l’ordre, de ce qui convient, de ce qu’est la juste mesure dans les actes et les paroles. » Cicéron, Des Devoirs,44 av. J.-C.
« Une fois bien établis ces principes : "il faut prendre pour eux-mêmes les objets conformes à la nature et rejeter leurs contraires", le premier office [devoir] d’un vivant est de se conserver dans sa constitution qui lui a été donnée par le naturel, ensuite de retenir ce qui est conforme à la nature et de repousser le contraire [...] lorsque ce choix est constant et conforme à la nature jusqu’au bout, c’est en lui d’abord que réside et que commence à être saisi ce que l’on peut appeler le bien au sens vrai du mot. [...] L’acte honnête ne réside pas dans les premiers penchants naturels ; il suit et il naît après eux, comme je l’ai dit ; il n’en est pas moins vrai qu’il est conforme à la nature et qu’il nous exhorte à la rechercher bien plus que les objets précédents ne nous attiraient à eux. » Cicéron, Des fins, 45 av. J.-C.
Aristote : la prudence comme sagesse morale attachée aux objets de l’expérience
« La prudence a rapport aux choses humaines et aux choses qui admettent la délibération : car le prudent, disons-nous, a pour œuvre principale de bien délibérer [...] La prudence n’a pas non plus pour objet seulement les universels, mais elle doit aussi avoir la connaissance des faits particuliers, car elle est de l’ordre de l’action, et l’action a rapport aux choses singulières. C’est pourquoi aussi certaines personnes ignorantes sont plus qualifiées pour l’action que d’autres qui savent : c’est le cas notamment des gens d’expérience. »
Aristote, Éthique à Nicomaque, IVe siècle avant J.C.
Weber : éthique de la conviction et éthique de la responsabilité.
« Lorsque les conséquences d’un acte fait par pure conviction sont fâcheuses, le partisan de cette éthique [de la conviction] n’attribuera pas la responsabilité à l’agent, mais au monde, à la sottise des hommes ou encore à la volonté de Dieu qui a créé les hommes ainsi. Au contraire le partisan de l’éthique de responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l’homme [...] et il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu’il aura pu les prévoir. »
Weber, Le Savant et le politique,1919
Rousseau : la conscience, principe inné de justice et de vertu.
« Il est donc au fond des âmes un principe inné de justice et de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d’autrui comme bonne ou mauvaises, et c’est à ce principe que je donne le nom de conscience. [...] Connaître le bien, ce n’est pas l’aimer : l’homme n’en a pas la connaissance innée, mais sitôt que sa raison le lui fait connaître, sa conscience le porte à l’aimer : c’est ce sentiment qui est inné. »
Rousseau, Émile, 1762
Montaigne : la barbarie est une idée relative.
« L’accoutumance émousse notre jugement. Les Barbares ne sont en rien plus étonnants pour nous que nous pour eux, ils n’ont pas de raison de l’être, comme chacun l’admettrait, après s’être promené dans ces exemples venus de loin, s’il savait se pencher sur les siens propres, et les examiner avec soin. La raison humaine est une décoction faite à partir du poids sensiblement égal donné à toutes nos opinions et nos mœurs, de quelque forme qu’elles soient; sa matière est infinie, infinie sa diversité. […] Les lois de la conscience, dont nous disons qu’elles naissent de la nature, naissent de la tradition: chacun vénère intérieurement les opinions et les mœurs reçues et acceptées autour de lui, et il ne peut s’en détacher sans remords, ni s’y appliquer sans les approuver. »
Montaigne, Essais, 1580
Hegel : le relativisme moral supprime l’idée de mal.
« En ce qui concerne le mal en général, on admettait que c’était un devoir de connaître le Bien et de savoir le distinguer du mal. En tous cas, on ne contestait pas l’exigence absolue que l’homme ne devait se rendre coupable d’aucune action vicieuse [...] Si l’on déclare, à présent, que c’est le bon cœur, la bonne intention, la conviction subjective qui décide de la valeur d’une action, l’hypocrisie n’est plus possible et d’une manière générale, il n’y a plus de mal, car, par la réflexion sur les bonnes intentions et sur les mobiles de l’action, chacun saura rendre bon ce qu’il fait et grâce à l’importance accordée à la conviction, ce qu’il fait est bon. Il n’y a donc plus de crime ni de vice en soi et pour soi. »
Hegel, Principes de la philosophie du droit, 1820
Kant : l’impératif catégorique
« Il n’y a donc qu’un impératif catégorique, et c’est celui-ci : Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. Or, si de ce seul impératif tous les impératifs du devoir peuvent être dérivés comme de leur principe, quoique nous laissions non résolue la question de savoir si ce qu’on appelle le devoir n’est pas en somme un concept vide, nous pourrons cependant tout au moins montrer ce que nous entendons par là et ce que ce concept veut dire. »
Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785
Kant : tous les hommes sans exception ont droit à la vérité
« [Je ne prendrai] donc pas pour principe cette proposition : "Dire la vérité n’est un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité," d’abord parce que c’est là une mauvaise formule, la vérité n’étant pas une propriété sur laquelle on puisse accorder des droits à l’un et en refuser à l’autre, et ensuite surtout parce que le devoir de la véracité (le seul dont il soit ici question) n’admet pas cette distinction entre certaines personnes envers qui l’on aurait à le remplir, et d’autres à l’égard desquelles on pourrait s’en affranchir, mais que c’est un devoir absolu qui s’applique dans tous les cas. »
Kant, D’un prétendu droit de mentir par humanité, 1797
Machiavel : le Prince doit au moins donner l’apparence d’un homme vertueux
« Il est nécessaire pour le prince d’être assez sage pour pouvoir fuir le mauvais renom des vices qui lui ôteraient le pouvoir, et pour se garder de ceux qui ne lui ôteraient pas, si possible ; ne le pouvant pas, il peut s’y laisser aller avec moins de crainte. Et qu’il ne se préoccupe pas d’autre part d’encourir la renommée des vices sans lesquels il ne pourrait effectivement que difficilement sauver son pouvoir. Car, tout bien considéré, on trouvera certaine chose qui apparaîtra une vertu, et qui, à la pratiquer, sera sa chute, et telle autre qui semblera un vice et qui, à la pratiquer, lui procure sécurité et bonheur. »
Machiavel, Le Prince, 1532
Nietzsche : l’origine économique et sociale des idées de faute et de devoir
« Ces généalogistes de la morale se sont-ils seulement douté, même en rêve, que, par exemple, le concept moral essentiel "faute" tire son origine de l’idée toute matérielle de "dette" ? ou bien que le châtiment, en tant que représaille, s’est développé indépendamment de toute hypothèse au sujet du libre arbitre ou de la contrainte ? [...] Ce fut le canon moral de la justice, le plus ancien et le plus naïf, le commencement de toute "bonté", de toute "équité", de tout "bon vouloir", de toute "objectivité" sur la terre. La justice, à ce premier degré, c’est le bon vouloir entre gens de puissance à peu près égale, de s’accommoder les uns des autres, de ramener l’"entente" au moyen d’un compromis, — quant aux gens moins puissants on les contraignait à accepter entre eux ce compromis. »