Platon : vaut-il mieux subir l'injustice ou la commettre ?
Contre Socrate, le personnage de Glaucon défend l’idée selon laquelle les hommes préfèrent naturellement commettre l’injustice que de la subir. Cet extrait précède le célèbre mythe de Gygès, qui raconte l’histoire suivante : un berger trouve un anneau le rendant invisible, il ne peut s’empêcher de commettre les pires injustices pour satisfaire son propre intérêt et combler ses désirs.
« Les hommes prétendent que, par nature, il est bon de commettre l’injustice et mauvais de la souffrir, et qu’il y a plus de mal à la souffrir que de bien à commettre. Aussi, lorsque mutuellement, ils la commettent et la subissent, et qu’ils goûtent des deux états, ceux qui ne peuvent point éviter l’un ni choisir l’autre estiment utile de s’entendre pour ne plus commettre ni subir l’injustice. De là prirent naissance les lois et les conventions, et l’on appela juste et légitime ce que prescrivait la loi. Voilà l’origine et l’essence de la justice : elle tient le milieu entre le plus grand bien – commettre impunément l’injustice – et le plus grand mal – la subir quand on est incapable de se venger. »
Platon, La République, 315 av. J.-C.
Platon : la justice est intérieure à l’homme, harmonie entre les trois parties de l’âme
« La justice […] règle l’activité intérieure, celle qui concerne l’homme personnellement et les principes qui le forment, sans permettre à aucune de nos fonctions de faire des choses qui lui soient étrangères, et sans permettre non plus que les trois principes spécifiés dans l’âme empiètent sur leurs attributions respectives. Ainsi l’homme juste instaure un ordre authentique dans son intérieur, il prend le commandement de lui-même, il se discipline, il se rend cher à lui-même, il met entre les trois parties de son âme un accord parfait. »
Platon, La République, 315 av. J.-C.
Aristote : l'équitable vient compléter la justice
« Nous avons ensuite à traiter de l’équité et de l’équitable, et montrer leurs relations respectives avec la justice et avec le juste. Ce qui fait la difficulté, c’est que l’équitable, tout en étant juste, n’est pas le juste selon la loi, mais un correctif de la justice légale. La raison en est que la loi est toujours quelque chose de général, et qu’il y a des cas d’espèce pour lesquels il n’est pas possible de poser un énoncé général qui s’y applique avec rectitude. [...] Quand, par suite, la loi pose une règle générale et que là-dessus survient un cas en dehors de la règle générale, on est alors en droit, là où le législateur a omis de prévoir le cas, et a pêché par excès de simplification, de corriger l’omission et de se faire l’interprète de ce qu’eût dit le législateur lui-même. »
Aristote, Éthique à Nicomaque, IVe siècle avant J.C.
Hobbes : l'état de nature est un état de guerre de tous contre tous
« On trouve dans la nature humaine trois causes principales de conflit : premièrement la compétition ; deuxièmement, la défiance ; troisièmement la gloire. La première pousse les hommes à attaquer pour le profit, la seconde pour la sécurité et la troisième pour la réputation. Par cela, il est manifeste que tant que les humains vivent sans qu’une puissance commune ne leur impose à tous un respect mêlé d’effroi, leur condition est ce que l’on appelle la guerre ; et celle-ci est telle qu’elle est une guerre de chacun contre chacun. »
Hobbes, Léviathan, 1651
Pascal : la justice n’est rien en soi, elle n’est que l’autre nom de la coutume
« L’un dit que l’essence de la justice est l’autorité du législateur, l’autre la commodité du souverain, l’autre la coutume présente ; et c'est le plus sûr ; rien, suivant la seule raison, n’est juste de soi ; tout branle avec le temps. La coutume fait toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue ; c'est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramène à son principe l’anéantit. Rien n’est ni fautif que ces lois qui redressent les fautes ; qui leur obéit parce qu’elles sont justes ; obéit à la justice qu’il imagine, mais non pas à l’essence de la loi : elle est toute ramassée en soi ; elle est loi, et rien davantage. »
Pascal, Pensées, 1670
Rousseau : la souveraineté de la loi n’est rien d’autre que la volonté générale
« Si l’État ou la Cité n’est qu’une personne morale dont la vie consiste dans l’union de ses membres, si le plus important de ses soins est celui de sa propre conservation, il lui faut une force universelle et compulsive pour mouvoir et disposer chaque partie de la manière la plus convenable au tout. Comme la nature donne à chaque homme un pouvoir absolu sur tous ses membres, le pacte social donne au corps politique un pouvoir absolu sur tous les siens, et c'est ce même pouvoir, qui, dirigé par la volonté générale porte, comme j’ai dit, le nom de souveraineté. […] Les engagements qui nous lient au corps social ne sont obligatoires que parce qu’ils sont mutuels, et leur nature est telle qu’en les remplissant on ne peut travailler pour autrui sans travailler aussi pour soi. »
Rousseau, Du contrat social, 1762
Mill : la liberté d’expression comme la liberté d’action ne doivent jamais être entravées sauf si un tort est commis contre autrui
« [Il est exigé que] les hommes soient libres d’agir selon leurs opinions – c'est-à-dire libres de les appliquer à leur vie sans que leurs semblables les en empêchent physiquement ou moralement, tant que leur liberté ne s’exerce qu’à leurs seuls risques et périls. [...] Les actes de toute nature qui sans cause justifiable nuisent à autrui peuvent être contrôlés [...] par la réprobation et, si nécessaire, par une intervention active des gens. La liberté de l’individu doit être contenue dans cette limite : il ne doit pas nuire à autrui. Et dès lors qu’il s’abstient d’importuner les autres et qu’il se contente d’agir selon son inclination et son jugement dans ce qui ne concerne que lui, les mêmes raisons qui montrent que l’opinion doit être libre prouvent également qu’on devrait pouvoir, sans vexations, mettre son opinion en pratique à ses propres dépens. »
John Stuart Mill, De la liberté, 1859
Rawls : le voile d’ignorance nous permet de trouver les principes de justice
« Les termes équitables de la coopération sociale sont définis par un accord passé entre ceux qui y participent. L’une des raisons de ce choix est que, compte tenu de l’hypothèse du pluralisme raisonnable, les citoyens ne peuvent pas s’accorder sur une autorité morale, comme un texte sacré, une institution, ou une tradition religieuse. […] Dans la position originelle, les partenaires ne sont pas autorisés à connaître les positions sociales ou les doctrines englobantes particulières des personnes qu’ils représentent. Ils ne connaissent pas non plus la race, le groupe ethnique, le sexe, ou les dons innés variés comme la force et l’intelligence de ces personnes. On exprime toutes ces limites sur l’information disponible de manière figurée, en disant que les partenaires sont placés derrière un voile d’ignorance. »