« Toutes les fois que je retiens tellement ma volonté dans les bornes de ma connaissance, qu'elle ne fait aucun jugement que des choses qui lui sont clairement et distinctement représentées par l'entendement, il ne se peut faire que je me trompe ; parce que toute conception claire et distincte est sans doute quelque chose de réel et de positif, et partant ne peut tirer son origine du néant, mais doit nécessairement avoir Dieu pour son auteur, Dieu, dis-je, qui, étant souverainement parfait, ne peut être cause d'aucune erreur ; et par conséquent il faut conclure qu'une telle conception ou un tel jugement est véritable. »
Descartes, Méditations métaphysiques, Méditation quatrième, « Du vrai et du faux », 1641
Mill : la confiance en la parole est la condition de la civilisation
« En s'écartant, même sans le vouloir, de la vérité, on contribue beaucoup à diminuer la confiance que peut inspirer la parole humaine, et cette confiance est le fondement principal de notre bien-être social actuel ; disons même qu'il ne peut rien y avoir qui entrave davantage les progrès de la civilisation, de la vertu, de toutes les choses dont le bonheur humain dépend pour la plus large part, que l'insuffisante solidité d'une telle confiance. »
John Stuart Mill, L’utilitarisme, 1863
Kant : tout homme a droit à la vérité, sans exception
« [Je ne prendrai] donc pas pour principe cette proposition : "Dire la vérité n’est un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité", d’abord parce que c’est là une mauvaise formule, la vérité n’étant pas une propriété sur laquelle on puisse accorder des droits à l’un et en refuser à l’autre, et ensuite surtout parce que le devoir de la véracité (le seul dont il soit ici question) n’admet pas cette distinction entre certaines personnes envers qui l’on aurait à le remplir, et d’autres à l’égard desquelles on pourrait s’en affranchir, mais que c’est un devoir absolu qui s’applique dans tous les cas. »
Kant, D’un prétendu droit de mentir par humanité, 1797
Spinoza : la vérité est son propre critère (l’idée n’est pas une peinture muette)
« Il n’est personne, en effet, qui, ayant une idée vraie, ignore qu’une idée vraie enveloppe la certitude ; car qu’est-ce qu’avoir une idée vraie ? c’est connaître parfaitement, ou aussi bien que possible, une chose. On ne peut donc nous contredire ici, à moins de s’imaginer qu’une idée est une chose muette et inanimée, comme une peinture, et non un mode de la pensée, et l’acte même du penser. D’ailleurs, je le demande, qui peut savoir qu’il comprend une certaine chose, si déjà il ne l’a comprise ? En d’autres termes, si déjà vous n’êtes certain d’une chose, comment pouvez-vous savoir que vous en êtes certain ? Et puis, quelle règle de vérité trouvera-t-on plus claire et plus certaine qu’une idée vrai ? Certes, de même que la lumière se montre soi-même et avec soi montre les ténèbres, ainsi la vérité est à elle-même son criterium et elle est aussi celui de l’erreur. »
Spinoza, Éthique, 1677
Platon : le Bien comme terme du cheminement vers la connaissance
« Voilà donc comment m’apparaissent les choses : dans le connaissable, ce qui est au terme, c’est l’idée du bien, et on a du mal à la voir, mais une fois qu’on l’a vue on doit conclure que c’est elle, à coup sûr, qui est pour toutes choses la cause de tout ce qu’il y a de droit et de beau, elle qui dans le visible a donné naissance à la lumière et à celui qui en est le maître, elle qui dans l’intelligible, étant maîtresse elle-même, procure vérité et intelligence ; et que c’est elle que doit voir celui qui veut agir de manière sensée, soit dans sa vie personnelle, soit dans la vie publique. »
Platon, République, vers 380 av. J.-C.
Hume : notre connaissance tient tout entière dans nos expériences
« Supposez que quelqu'un, fût-il doué de facultés de raison et de réflexion les plus fortes, soit soudain amené dans ce monde ; il observerait certainement immédiatement une succession continuelle d'objets, un événement suivant un autre événement ; mais il ne serait pas capable d'aller plus loin et de découvrir autre chose. [...] En un mot, une telle personne, sans plus d'expérience, ne pourra jamais faire de conjectures ou de raisonnement concernant une chose de fait, ou être assurée de quelque chose au-delà ce de ce qui est immédiatement présent à sa mémoire ou à ses sens. »
Hume, Enquête sur l’entendement humain, 1748
Leibniz : la clarté et la distinction ne sont pas des règles fiables de vérité
« J’ai signalé ailleurs la médiocre utilité de cette fameuse règle qu’on lance à tout propos, – de ne donner son assentiment qu’aux idées claires et distinctes – si l’on n’apporte pas de meilleures marques du clair et du distinct que celles données par Descartes. Mieux valent les règles d’Aristote et des Géomètres, comme, par exemple, de ne rien admettre (mis à part les principes, c’est-à-dire les vérités premières ou bien les hypothèses), qui n’ait été prouvé par une démonstration valable. »
Leibniz, Méditations sur la connaissance, la vérité et les idées,1684
Hegel : la contradiction
« Ce qui, d’une façon générale, meut le monde, c’est la contradiction, et il est ridicule de dire que la contradiction ne se laisse pas penser. Ce qu’il y a de juste dans cette affirmation, c’est seulement ceci, qu’on ne peut pas s’en tenir à la contradiction et que celle-ci se supprime par elle-même. »
Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, 1817
Bergson : l'intuition
« La vie intérieure est tout cela à la fois, variété de qualités, continuité de progrès, unité de direction. On ne saurait la représenter par des images. Mais on la représenterait bien moins encore par des concepts, c'est-à-dire par des idées abstraites, ou générales, ou simples. Sans doute aucune image ne rendra tout à fait le sentiment original que j'ai de l'écoulement de moi-même. [Mais] l'image a du moins cet avantage qu'elle nous maintient dans le concret. Nulle image ne remplacera l'intuition de la durée, mais beaucoup d'images diverses, empruntées à des ordres de choses très différents, pourront, par la convergence de leur action, diriger la conscience sur le point précis où il y a une certaine intuition à saisir. »
Bergson, La Pensée et le mouvant, 1934
Nietzsche : l’instinct de vérité
« Qu’est-ce que la vérité ? Une armée mobile de métaphores, de métonymies, d'anthropomorphisme, bref une somme de corrélations humaines [...] qui, après un long usage, semblent à un peuple stables, canoniques et obligatoires : les vérités sont des illusions dont on a oublié qu'elles le sont, des métaphores qui ont été usées et vidées de leur force sensible [...]. Nous ne savons toujours pas d'où vient l'instinct de vérité ; car jusqu'ici nous n'avons entendu parler que du devoir imposé par la société pour exister - être véridique, c'est-à-dire employer les métaphores usuelles - , et donc, moralement parlant, du devoir de mentir en suivant une solide convention [...]. Certes l'homme oublie que tel est son lot ; il ment donc inconsciemment de la manière désignée ci-dessus [...], et précisément à travers cette inconscience, précisément à travers cet oubli, il arrive au sentiment de la vérité. »