1De quelle manière l’esprit peut-il connaître la matière ?
A) Définitions
Le concept de matière vient du latin mater, « la mère » car c’est d’elle que « naît » toute réalité physique. La matière est ce qui permet l’existence physique d’une chose. On ne peut pas concevoir une réalité physique sans matière car nos sens s’y rapportent. L'esprit désigne la réalité pensante, c’est-à-dire ce qui forme en nous nos représentations.
Nous avons besoin de l’esprit pour comprendre la matière. Quand on parle de « matière » en général, on renvoie à la réalité physique dans son ensemble. Cette matière abstraite et générale n’existe que dans notre pensée : nous avons besoin de penser à des objets matériels concrets pour concevoir une existence physique donnée. Je peux concevoir de la terre, de l’eau, du bois, mais pas « la matière » prise absolument.
Le lien entre la matière et l’esprit est donc d’abord un lien de représentation. Le second lien est ensuite un lien de complémentarité : la matière et l'esprit sont deux réalités qui s’appellent l’une l’autre.
B) Des sens à l'esprit
Descartes, à travers l’expérience du morceau de cire, met en évidence le fait que nous connaissons la permanence de la matière non pas par les sens (car le morceau de cire change d’aspect si on le chauffe), mais par l’entendement.
Cela signifie d’abord que mes sens ne sont pas un indicateur fiable pour connaître précisément la matière. Cela signifie ensuite que toute connaissance de la matière doit passer par la capacité de l’esprit à la concevoir.
C) La matière et ses formes
En effet, la matière se présente d’abord à nous comme la substance dans laquelle viennent s’inscrire ou s’organiser certaines formes. Nous ne connaissons donc pas a priori la matière pour elle-même, mais seulement la façon dont elle se présente à nous.
Pour illustrer cette idée, Platon propose de concevoir la matière comme un « porte-empreinte », c’est-à-dire le réceptacle indéterminé, le support des formes. En prenant l’exemple d’un lingot d’or, Platon nous montre que celui-ci peut recevoir une variété de formes prises par la matière « or ».
2Comment l'âme est-elle liée au corps ?
A) L'union de l'âme et du corps
Pour tenter de donner un sens aux rapports de la matière et de l’esprit, on peut en passer par les concepts d’âme et de corps. En effet, comment se fait-il que mon âme, qui relève de l’esprit, et que mon corps, qui relève de la matière, puissent être en contact et en coordination ?
Pour le dualisme cartésien, il y a deux substances (la substance pensante qu’est l’esprit, et la substance étendue qu’est la matière). Si les bêtes n’ont qu’un corps et pas d’âme, et si Dieu n’a qu’une âme et pas de corps, l’homme alors se distingue par le fait qu’il est doté d’un corps et d’une âme.
B) L’union de l’âme et du corps se ressent mais ne se conçoit pas
Toutefois, l’on ne doit pas concevoir chez l’homme l’âme dans le corps sur le modèle d’un pilote dans son navire, comme le souligne Descartes. L’union ne doit pas être confondue avec la seule présence de l’âme dans le corps. Mon âme n’est pas aux commandes de mon corps, mais lui est intimement liée, si bien que mon corps peut agir sur elle, tout comme la réciproque est également vraie. Quand le corps agit sur l’âme on parle des passions, quand c’est l’inverse, on parle de la volonté.
Cette union de l’âme et du corps est pourtant impossible à concevoir distinctement selon Descartes : nous pouvons l’éprouver, mais non l’expliquer (Lettre à Élisabeth du 28 juin 1643). Il s’agit d’une notion primitive, et en tant que telle, elle nous échappe quelque peu.
3L’hypothèse idéaliste et l’hypothèse matérialiste
A) L’hypothèse idéaliste
C’est précisément cette difficulté propre au dualisme - de rendre compte précisément de l’union de l’âme et du corps - qui pousse le monisme à trancher en faveur de l’un ou de l’autre.
Berkeley tranche en faveur de l’esprit. La matière n’existerait pas hors de la pensée, elle serait une formation illusoire de l’esprit, car pour Berkeley, le monde n’existe que parce que nous le percevons. C’est l’esprit qui forme l'idée de la matière comme support de ses représentations. On parle d’immatérialisme chez Berkeley. Chez Berkeley la perception n’est ainsi pas une sensation, mais simplement une idée.
Berkeley illustre cette thèse par l’exemple d’une cerise : je connais la cerise par mes sens (elle a un goût, une couleur, un aspect), je ne la connais que par mes sens, si l’on parlait d’une cerise en général, on parlerait d’une chose qui n’est pas matérielle, qui n’est pas là. On considère alors que ce sont les qualités sensibles perçues qui nous poussent à concevoir l’existence de la matière.
B) L’hypothèse matérialiste
Diderottranche en faveur de la matière en s’appuyant sur l’exemple d’un œuf : si l’âme existait, comment pénétrerait-elle l’œuf ? En passant à travers la coquille ? En étant déjà présente dès la formation ? Cela ne se tient pas, il faut donc en rester à la matière, et lui accorder une capacité d’organisation et de sensibilité.
L’hypothèse atomiste (représentée par Lucrèce et Épicure) permet de sortir de la dualité entre idéalisme et monisme. Le terme d’atome vient du grec et signifie « insécable », ce qui ne peut pas être coupé davantage. L’atome se réduit à la plus petite partie de la matière pour les Atomistes de l’Antiquité. En effet, on peut concevoir l’existence de l’âme et du corps, tout en concevant que l’âme est corporelle : l’âme serait un corps comme les autres. Ce que fait Lucrèce dans De rerum natura : l’âme est faite d’atomes fins et insécables.