« Les mêmes raisons avertissent que l'esprit et l'âme sont de nature corporelle : car s'ils portent nos membres en avant, arrachent notre corps au sommeil, nous font changer de visage, dirigent et gouvernent tout le corps humain, comme rien de tout cela ne peut se produire sans contact, ni le contact s'effectuer sans corps, ne devons-nous pas reconnaître la nature corporelle de l'esprit et de l'âme ? »
Lucrèce, De rerum natura, Ier siècle av. J.-C.
Platon : formes et matière
« Supposons qu'on fasse prendre successivement toutes les formes possibles à un lingot d'or, et qu'on ne cesse de remplacer chaque forme par une autre, si quelqu'un, en montrant une de ces formes, demandait ce que c'est, on serait certain de dire la vérité en répondant que c'est de l'or; mais on ne pourrait pas dire, comme si cette forme avait une existence réelle, que c'est un triangle ou toute autre figure, puisque cette figure disparaît au moment même où l'on en parle. [...] »
Platon, Timée, Ve-IVe siècles av. J.-C.
Descartes : je ne suis pas logé dans mon corps comme un pilote en son navire
« La nature m’enseigne aussi par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc., que je ne suis pas seulement logé dans mon corps, ainsi qu’un pilote en son navire, mais outre cela que je lui suis conjoint très étroitement, et tellement confondu et mêlé, que je compose comme un seul tout avec lui. Car si cela n’était, lorsque mon corps est blessé, je ne sentirais pas pour cela de la douleur, moi qui ne suis qu’une chose qui pense, mais j’apercevrais cette blessure par le seul entendement, comme un pilote aperçoit par la vue si quelque chose se rompt dans son vaisseau. »
Descartes, Méditations métaphysiques, 1641
Descartes : l’union de l’âme et du corps
« […] l’âme ne se conçoit que par l’entendement pur ; le corps, c’est-à-dire l’extension, les figures et les mouvements, se peuvent aussi connaître par l’entendement seul, mais beaucoup mieux par l’entendement aidé de l’imagination ; et enfin, les choses qui appartiennent à l’union de l’âme et du corps, ne se connaissent qu’obscurément par l’entendement seul, ni même par l’entendement aidé de l’imagination ; mais elles se connaissent très clairement par les sens. »
Descartes, Lettre à Élisabeth de Bohême du 28 juin 1643
Descartes : le morceau de cire
« Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d'être tiré de la ruche : il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenait, il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs dont il a été recueilli ; sa couleur, sa figure, sa grandeur, sont apparentes ; il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son. [...] Mais voici que, cependant que je parle, on l'approche du feu : ce qui y restait de sa saveur s'exhale, l'odeur s'évanouit, sa couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s'échauffe, à peine le peut-on toucher, et quoiqu'on le frappe, il ne rendra plus aucun son. La même cire demeure-t-elle après ce changement ? Il faut avouer qu'elle demeure et personne ne le peut nier.»
Descartes, Méditations métaphysiques, 1641
Diderot : nous n’avons pas besoin d’un principe immatériel
« Il ne vous reste qu’un de ces deux partis à prendre ; c’est d’imaginer dans la masse inerte de l’œuf un élément caché qui en attendait le développement pour manifester sa présence, ou de supposer que cet élément imperceptible s’y est insinué à travers la coque dans un instant déterminé du développement. Mais qu’est-ce que cet élément ? Occupait-il de l’espace, ou n’en occupait-il point ? Comment est-il venu, ou s’est-il échappé, sans se mouvoir ? Où était-il ? Que faisait-il là ou ailleurs ? A-t-il été créé à l’instant du besoin ? Existait-il ?»
Diderot, Le Rêve de d’Alembert, 1769
Berkeley : l’existence n’est pas distincte de la perception
« Une cerise, dis-je, n’est rien qu’un assemblage de qualités sensibles et d’idées perçues par divers sens: ces idées sont unies en une seule chose (on leur donne un seul nom) par l’intelligence parce que celle-ci remarque qu’elles s’accompagnent les unes des autres. [...] Aussi quand je vois, touche et goûte de ces diverses manières, je suis sûr que la cerise existe, qu’elle est réelle: car, à mon avis, sa réalité n’est rien si on l’abstrait de ces sensations. Mais si par le mot cerise vous entendez une nature inconnue, distincte, quelque chose de distinct de la perception qu’on en a, alors, certes, je le déclare, ni vous, ni moi, ni aucun autre homme, nous ne pouvons être sûrs de son existence. »
Berkeley, Trois dialogues entre Hylas et Philonous, 1713