Aristote : l’âme, l’organisation première du vivant
« Des corps naturels, les uns ont la vie et les autres ne l’ont pas : et par "vie" nous entendons le fait de se nourrir, de grandir et de dépérir par soi-même. Il en résulte que tout corps naturel ayant la vie en partage sera une substance, et substance au sens de substance composée. Et puis qu’il s’agit là, en outre, d’un corps d’une certaine qualité, c’est-à-dire d’un corps possédant la vie, le corps ne sera pas identique à l’âme, car le corps animé n’est pas un attribut d’un sujet, mais il est plutôt lui-même substrat et matière. Par suite, l’âme est nécessairement substance, en ce sens qu’elle est la forme d’un corps naturel ayant la vie en puissance. Mais la substance formelle est entéléchie; l’âme est donc l’entéléchie d’un corps de cette nature. »
Aristote, Traité de l’âme, IVe siècle avant J.-C.
Diderot : la vie et le possible
« Bordeu - Faites par la pensée ce que nature fait quelquefois ; mutilez le faisceau d’un de ses brins ; par exemple, du brin qui formera les yeux ; que croyez- vous qu’il en arrive ? Mademoiselle de Lespinasse - Que l’animal n’aura point d’yeux peut-être. Bordeu - Ou n’en aura qu’un placé au milieu du front. Mademoiselle de Lespinasse - Ce sera un Cyclope. Bordeu - Un Cyclope. Mademoiselle de Lespinasse - Le Cyclope pourrait donc bien ne pas être un être fabuleux. Bordeu - Si peu, que je vous en ferai voir un quand vous voudrez. »
Œuvres Complètes de Diderot, 1769
Kant : la production naturelle des êtres vivants
« Premièrement, un arbre produit un autre arbre selon une loi naturelle connue. Mais l’arbre qu’il produit est de la même espèce ; et ainsi il se produit lui-même selon l’espèce dans laquelle, d’un côté en tant qu’effet, de l’autre côté en tant que cause, continuellement produit par lui-même et de même sans cesse se reproduisant, il se conserve en permanence comme espèce. Deuxièmement, un arbre se produit aussi lui-même comme individu. Cette sorte d’effet, nous la nommons, il est vrai seulement croissance ; mais cela est à prendre en un sens tel que la croissance se distingue totalement de tout accroissement de grandeur selon des lois mécaniques […] Troisièmement, une partie de cette créature se produit aussi d’elle-même, de telle manière que la conservation d’une partie dépend de la conservation de l’autre et réciproquement. »
Kant, Critique de la faculté de juger, 1790
Canguilhem : l’animal face au monde de l’homme
« Les hérissons, en tant que tels, ne traversent pas les routes. Ils explorent à leur façon de hérisson leur milieu de hérisson, en fonction de leurs impulsions alimentaires et sexuelles. En revanche, ce sont les routes de l'homme qui traversent le milieu du hérisson, son terrain de chasse et le théâtre de ses amours, comme elles traversent le milieu du lapin, du lion ou de la libellule... »
Canguilhem, La Connaissance de la vie, 1965
Descartes : corps et machines
« À quoi l'exemple de plusieurs corps, composés par l'artifice des hommes, m'a beaucoup servi : car je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l'agencement de certains tuyaux ou ressorts, ou autres instruments qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. Et il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles sont avec cela naturelles. »