L’étymologie du terme « religion » est discutée : le terme provient soit de relegere, qui signifie « relire », soit de relegare, qui signifie « relier ».
La religion désigne aussi bien le rapport humain au divin et au sacré, que les ordres institués pour encadrer et codifier ce rapport : on parle alors de religion instituée. Ce rapport peut prendre une multitude de formes, mais rassemble généralement un ensemble de croyances, de récits, de rites et de symboles sacrés. Le sacré est ce qui entretient un contact privilégié avec la divinité, et qui demande donc à être respecté voire craint ; le sacré peut aussi entraîner un ensemble d’interdits propres à chaque communauté religieuse.
La religion est un fait présent dans toutes les sociétés. Il évoque généralement une transcendance, c’est-à-dire une réalité qui dépasse notre condition voire notre compréhension rationnelle (dieu unique, dieux multiples, esprits, « au-delà »). Cette réalité transcendante est supposée nous permettre de comprendre et de supporter notre condition humaine.
B) L’Église, le rite et l’individu
La religion est en général une pratique collective (cf. étymologie), ou qui du moins suppose des rassemblements réguliers. Selon Émile Durkheim, la religion est inséparable de l’idée d’Église, qui ne concerne pas seulement les ministres du culte, mais l’ensemble des fidèles.
Cependant il existe bien des religions individuelles, dans toutes les sociétés : chacun peut pratiquer un culte dont il est le seul témoin, face à une entité spirituelle qui lui est propre (génie, saint, manitou, etc.) Les pratiques encadrées par un culte, qu’il soit individuel ou collectif, sont qualifiées de « rituelles ».
Durkheim choisit de proposer la définition suivante : « une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent ».
C) Le mythe
La plupart des religions s’appuient sur des récits fondateurs. Et la plupart de ces récits peuvent être qualifiés de mythologiques. Ils ont un impact concret, soit sur des pratiques sociales, soit sur une culture, soit sur un ensemble de rites. Par exemple, la «pesée des âmes » dans la mythologie égyptienne déterminait les rituels d’inhumation.
L’ethnologie a décelé dans les mythes des mécanismes beaucoup plus élaborés qu’on ne pourrait le supposer. Les travaux de Claude Lévi-Strauss ont établi qu’un mythe ne se réduit pas à un jeu de l’esprit : tous les mythes possèdent des similitudes structurelles, qui forment ensemble un véritable langage à forte valeur symbolique. Les sociétés énoncent à travers eux des thématiques centrales de leur représentation du monde.
Les religions contemporaines sont réservées à l’égard de la notion de mythe pour désigner leurs récits fondateurs, qu'elles ne considèrent pas comme imaginaires ou fictifs. Cependant, l’étude des religions « du livre » (judaïsme, christianisme, islam) démontre que plusieurs des récits qui les constituent tirent leur origine dans des mythes plus anciens (par exemple, le Déluge). Parler de « mythes » à leur sujet n’est donc pas nécessairement une offense faite aux croyants.
2La religion instituée et la religion naturelle
A) L’institution d’une religion et la foi
Les religions instituées ont la particularité d’ajouter aux croyances et aux rites un cadre institutionnel strict, comportant généralement un clergé, des lieux de culte, et un ensemble de codes et de règles qui sont censés être respectés par les fidèles.
C’est également au travers de ces institutions qu’une éducation religieuse est généralement transmise, et que cet enseignement peut durablement marquer une société. Pour certains penseurs, cette situation pose le problème de l’authenticité de la foi ainsi acquise.
Kierkegaard a développé à cet égard une critique virulente de la foi « confortable » des chrétiens de son époque, qui se reposent entièrement sur les préceptes de leur Église sans faire l’expérience de l’inquiétude et de l’angoisse, essentielles à une foi véritable.
B) Le problème du pouvoir politique
La religion est un facteur très important de rassemblement des individus et de légitimation d’une autorité. De nombreux régimes s’en sont inspirés et ont donc mêlé autorité politique (ou temporelle) et autorité religieuse (et spirituelle). Hobbes préconise ainsi de « réunir les deux têtes de l’aigle », Église et État.
Mais utiliser la religion à des fins politiques, n’est-ce pas en faire un simple instrument de propagande ? N’est-ce pas aussi encourager le préjugé et l’illusion, au détriment du libre examen que garantirait une liberté de croyance ?
Spinoza souligne que la réunion de l’Église et de l’État dans une république est dommageable non seulement à la liberté politique, mais aussi à la liberté religieuse : elle asservit les citoyens en leur faisant croire qu’ils doivent se sacrifier à leur dieu, et elle force à adopter une certaine religion, ce qui est contraire à la vraie foi (qui doit être le produit d’un libre choix).
C) L’idée de religion naturelle
Face à la prépondérance des religions révélées, et à leur connivence avec l’autorité politique, certains philosophes ont insisté sur la possibilité d’accéder à la divinité par le biais d’un raisonnement ou d’un sentiment intérieur et indépendant de tout contexte institutionnel.
La religion naturelle et le déisme sont précisément les thèses qui s’appuient soit sur le sentiment moral, soit sur une évidence intime, soit sur l’observation de l’univers, pour reconnaître l’existence de Dieu et l’honorer de façon individuelle et privée.
3La religion et la raison
A) La théologie rationnelle
Au cours de l’histoire, on a tenté d’apporter des preuves rationnelles de l’existence de Dieu, ce qui impliquerait que malgré leur objet surnaturel, les croyances religieuses sont en accord avec la logique et l’observation rigoureuse du monde.
Les différentes preuves sont classées en grandes catégories par Kant :
la preuve physico-théologique (l’harmonie de l’univers prouve une intelligence organisatrice)
la preuve cosmologique (Dieu est le premier moteur nécessaire à la chaîne des causes et des effets)
la preuve ontologique (l’idée de Dieu implique son existence, puisqu’il est parfait - cette preuve était auparavant appelée « preuve a priori »).
Pour Kant, aucune de ces preuves n’est concluante : Dieu est selon lui objet de foi seule, non de savoir rationnel.
B) La question du mystère
On peut ainsi affirmer qu’il est absurde de vouloir démontrer l’existence de Dieu, car la foi ne repose précisément pas sur la raison, mais sur le cœur. Plus exactement, c’est l’absurde et la reconnaissance de la vérité d’un mystère qui sont à la racine du sentiment religieux.
On parle de religion « révélée », par exemple pour les religions du livre. Les vérités contenues dans la religion ne prétendent pas être des vérités démontrées, mais s’adressent au cœur, à la foi des fidèles. Cf. Pascal : « C'est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c'est que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison. »
Un mystère est, dans une religion, un dogme dont la vérité est objet de foi, et ne peut être expliquée par la raison. Ainsi, la vérité de ce dogme ne peut être démontrée, mais seulement révélée. La reconnaissance de cette absurdité par la croyance religieuse est ce qui la distingue d’un savoir, soumis à une démonstration logique. On attribue à Tertullien (IIe siècle) la formule « j’y crois parce que cela est absurde » (« credo quia absurdum »). Augustin a dit, quant à lui, « credo ut intelligam » : « je crois pour comprendre ».
C) Y a-t-il un conflit entre science et religion ?
Le progrès des sciences tend à remettre en question beaucoup de dogmes ou de récits fondateurs des principales religions actuelles (création de l’univers, évolution des espèces...). Faut-il en conclure qu’il est nécessaire de « choisir son camp » entre la foi et la raison ?
Kant souligne au contraire que foi et raison n’ont pas à être en conflit, car leurs objets sont simplement différents : ainsi la raison ne peut prétendre démontrer l’existence de Dieu, mais pas non plus son inexistence. La foi, quant à elle, ne peut se prononcer sur l’explication des phénomènes, qui relèvent de la logique rationnelle de nos représentations.
D) L’athéisme et la critique de la religion
Les critiques de la religion ont pu prendre plusieurs formes : elles ont pu être de type moral, politique, social, ou métaphysique. La critique marxiste de la religion comme « opium du peuple » dénonce l’usage de la religion comme instrument d’anesthésie des masses face aux injustices sociales, et de divertissement des consciences qui ne se préoccupent plus de leur détresse réelle.
Même les critiques les plus anciennes de la religion (celle de Lucrèce notamment) insistent sur ce pouvoir de détournement de l’attention et de manipulation des masses : les religions se sont illustrées dans l’histoire par leur pouvoir à justifier les sacrifices et les crimes des fidèles au nom de principes absurdes et fictifs. Elles sont une forme de domination sociale qui s’appuie sur la crainte du sacré.
La célèbre formule de Nietzsche « Dieu est mort » signifie qu’il n’y a plus désormais de domaine suprasensible ou d’« arrière-monde » réconfortant vers lequel les hommes puissent se tourner.