Travail : vient du latin tripalium (trois pieux), qui désigne un instrument de torture pour attacher les bêtes durant le labour de la terre. Cette étymologie place le travail du côté de la souffrance, de la contrainte.
Le travail désigne :
l'activité de production de l’homme, par laquelle il modifie son environnement pour se donner les moyens de subvenir à ses besoins
toute activité humaine, manuelle ou intellectuelle par laquelle l’homme fournit un effort prolongé
une activité rétribuée, effectuée en vue d’un gain (« chercher un travail »)
Technique : vient du grec techné, qui désigne toute production humaine, à la fois les objets techniques et artistiques (un outil, un temple, un navire, une sculpture, etc.). On peut définir la technique comme l'ensemble des procédés mis en œuvre pour produire des objets et les moyens de production des objets.
B) Le travail est le propre de l'homme
Le travail est le propre de l’homme : on ne dira pas des animaux qu’ils travaillent.
On peut même dire que l’homme n’accède à son humanité que par le travail. C’est ce que montre Hegel dans la dialectique du maître et de l’esclave : par le travail, l’homme transforme son rapport au monde, il ne vit plus seulement dans la satisfaction immédiate de ses désirs, acquiert de la maîtrise, et accède ainsi à la liberté.
C) La division du travail
Chaque travail n’est possible que parce que chacun bénéficie du travail des autres membres de la société. Le boulanger ne pourrait pas préparer son pain s’il n’y avait pas des paysans pour récolter le blé, des forgerons pour préparer ses outils, etc. (cf. Locke)
L’organisation des sociétés est fondée sur la division du travail. Chacun doit se spécialiser dans un métier particulier, être capable d’accomplir des tâches précises. Il faut des ouvriers, des agriculteurs, des artisans, des médecins, etc.
Hegel montre que la division du travail engendre des différences de statut social, des différences de pouvoir d’achat, et des rapports de forces particuliers. Le travail, en créant ces différences de statuts sociaux et des disparités de richesses, devient un facteur d’injustices sociales profondes.
2Le travail n’est-il qu’une contrainte ?
A) Le travail est une contrainte
Le travail semble par définition être avant tout une contrainte : il provient d’une nécessité première, celle de subvenir à ses besoins (contrainte intérieure, celle de la nature humaine) ; il est affrontement de la matière (contrainte extérieure de la nature), et il est imposé par la structure sociale (contrainte sociale). On peut donc se demander si le travail est réalisation de soi ou aliénation.
Selon Marx, le travail peut être aliénant : il altère la nature de l’homme en l’asservissant, le rendant étranger à lui-même. Le travail peut être aliénant de trois manières.
lorsque le travailleur est dépossédé des fruits de son travail (comme l’ouvrier dont les efforts ne servent que l’entreprise) ;
lorsque le travail est physiquement pénible ;
lorsque le travail est moralement éprouvant.
B) Le travail n’est pas que contrainte, il est formation de soi et condition de la liberté
On peut considérer avec Hegel que le travail est une contrainte libératrice et formatrice.
Le travail forme de plusieurs façons :
le travail permet l’acquisition de compétences ;
contrairement à la jouissance immédiate, le travail prend du temps, il apprend à faire des efforts pour réaliser un objectif ;
l’homme prend conscience de son pouvoir de transformer la nature lorsqu’il contemple les produits du travail humain (maisons, routes, objets, etc.) : l'homme, par son travail, transforme le monde autour de lui pour le rendre plus agréable à habiter et plus conforme à ses désirs.
Le travail contient aussi une valeur morale depuis le christianisme qui considère le travail comme une punition de Dieu mais aussi un moyen de racheter le péché. En travaillant, l’homme accomplit son devoir pour soi-même et pour les autres, en payant son dû à la société dans laquelle il vit.
3Travail manuel et travail intellectuel
A) Une opposition ou un rapprochement ?
Dans l’Athènes antique, les sciences et la philosophie ne sont pas considérées comme des travaux : elles relèvent du loisir. Par contraste, on pense que la plupart des travaux manuels et techniques sont indignes des hommes libres. Cicéron écrit ainsi dans son Traité des offices : « Tous les ouvriers en général exercent une profession vile et sordide. Rien de noble ne pourra jamais sortir d’une boutique ou d’un atelier ».
Pourtant, les activités intellectuelles se rapprochent des activités laborieuses : elles demandent des efforts, du temps, elles procurent de la fatigue, elles correspondent à plusieurs métiers (ingénieurs, professeurs, écrivains, etc.), et peuvent donner lieu à des rémunérations.
B) Le travail manuel et le travail intellectuel sont formateurs aux mêmes conditions
Dès le Moyen-Âge et à l’époque moderne, les artisans revendiquent la valeur de leur savoir-faire technique (ébénisterie, orfèvrerie, etc.).
Les tâches techniques, de même que le travail intellectuel, reposent sur l’usage de l’intelligence. Par exemple, le boulanger ou l’ouvrier doivent concevoir les étapes de leurs actions comme le fait un architecte.
Dans de bonnes conditions, les travaux manuels n’ont rien de dégradant, car ils sont formateurs. Pour Hegel, en travaillant, l’homme renonce à un rapport de consommation immédiate aux choses, se heurte à la résistance de la matière : « Le travail est désir réfréné, disparition retardée. Le travail forme. »
À partir du XIXe siècle, le problème n’est plus d’opposer les travaux manuels aux travaux intellectuels ; l’enjeu est d’étudier les travaux qui peuvent être aliénants, et ceux qui au contraire bénéficient à la vie des travailleurs. Marx montre qu'un travail qui n’est pas en soi aliénant peut le devenir s’il empiète sur l’ensemble de la vie d’une personne.
4La technique
A) La technique, entre savoir et savoir-faire
L’humanité a été capable d’inventer les premiers outils (marteaux, armes, etc.), jusqu’à atteindre la technologie moderne (ordinateurs par ex.) : la technique est une marque de l’intelligence et de l’inventivité humaines. On ne parlera pas de technique ou de travail pour qualifier les productions des animaux. La première raison en est que l’animal n’invente rien, il agit seulement par instinct, alors que l’homme agit par liberté, prévoit, et visualise le résultat de son travail dans sa tête avant de le réaliser. Marx écrit ainsi que « ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c'est qu’il construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche.»
La fabrication des outils et toutes les techniques représentent la capacité de trouver des moyens pour parvenir à ses objectifs. Par exemple, l’homme veut pouvoir traverser les mers, il se donne comme fin (objectif, visée) de pouvoir accéder à un autre pays par voie maritime, et il est capable de se donner les moyens d’y parvenir, c’est-à-dire d’inventer une médiation technique (construction d’un navire). C’est ce qu’on nomme la rationalité instrumentale, qui désigne l’invention de moyens techniques, d’instruments pour accéder à certains buts, comme l’explique Heidegger.
L’usage d’une technique semble toujours reposer sur un savoir préalable. Pour manier un outil ou pour utiliser une machine, il faut savoir comment les manipuler, savoir à quoi ils servent, etc. Simultanément, l’invention technique peut précéder et stimuler la réflexion scientifique. Ex. : l’invention de la roue a précédé la découverte des principes de la mécanique, l’invention de l’arc a précédé les principes de la balistique.
Cependant, le savoir-faire technique ne doit pas être confondu avec la connaissance abstraite. Kant montre que le savoir-faire est inséparable du contact avec la matière, des exercices répétés, de l’habileté pratique. Le maniement des outils repose d’ailleurs avant tout sur l’agilité de la main, autant que sur l’intelligence. C'est le sens de la formule d'Aristote : « la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. »
B) La puissance de la technique et les responsabilités qu’elle engage
Le progrès des techniques a rythmé l’histoire de l’humanité. L’invention de l’imprimerie, de la machine à vapeur, plus tard l’industrialisation ou l’invention de l’ordinateur ont profondément modifié les modes de vie des hommes.
Sans un certain avancement technique, l’apparition des autres domaines de la culture aurait été impossible. Le développement technique augmente la puissance d’agir des hommes ; selon Descartes, elle les rend « comme maîtres et possesseurs de la nature ». Les hommes ont gagné en liberté et possibilité d’action en rendant le monde qui les entoure conforme à leur volonté. Descartes insiste dans le même extrait sur l’espoir incroyable soulevé par les progrès de la technique et de la médecine.
À notre époque, le développement technologique est tel qu’il paraît susceptible d’engendrer des dangers pour l’environnement (pollution, épuisement des ressources, etc.) ou pour l’humanité elle-même (arsenaux nucléaires). Pour Heiddeger, la technique d’aujourd’hui apparait comme une forme de « provocation de la nature ».
Pour se garder des dangers liés à la technique, il faut repenser le rapport entre la rationalité instrumentale (centrée sur l’adaptation des moyens aux fins) et la rationalité éthique (qui interroge les fins en elles-mêmes) : l’homme doit rester vigilant en s’assurant que ce rapport ne soit pas inversé. Par exemple, ce n’est pas parce que l’on est en mesure de réaliser certaines prouesses techniques ou médicales qu’il est éthique ou moral de le faire (clonage, GPA, etc.). Dans tous les cas, la rationalité instrumentale doit rester subordonnée à la rationalité éthique.