La Genèse : le travail comme souffrance et punition
Dans la Genèse, 3, 17 Adam et Eve sont chassés du paradis parce qu’ils ont mangé les fruits de l’arbre de la connaissance (« le jour où tu en mangeras tu en mourras »). Adam est condamné à cultiver un sol ingrat, tandis qu’Eve va souffrir pendant ses grossesses (notons qu’on dit d’une femme qui accouche qu’elle est « en travail »).
« [À Adam] Le sol sera maudit à cause de toi, c’est à force de peine que tu en tireras la nourriture tous les jours de ta vie, il te produira des épines et des ronces, c’est à la sueur de ton visage que tu mangeras ton pain jusqu’à ce que tu retournes à la terre d’où tu as été pris, car tu es poussière et retourneras à la poussière. [À Eve] Je multiplierai les peines de tes grossesses ».
Genèse, 3, 17
Descartes : la technique rend l’homme comme maître et possesseur de la nature
« Au lieu de cette philosophie spéculative, qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. »
Descartes, Discours de la méthode, 1637
Marx : la distinction entre les productions de l’homme et les productions de la nature
« Notre point de départ, c'est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l’homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de plus d’un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c'est qu’il construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d’action, et auquel il doit subordonner sa volonté. »
Marx, Le Capital, 1867
Marx : le travail aliénant est une dépossession du travailleur
« Or, en quoi consiste la dépossession du travail ? D’abord, dans le fait que le travail est extérieur à l’ouvrier, c'est-à-dire qu’il n’appartient pas à son être ; que, dans son travail, l’ouvrier ne s’affirme pas, mais se nie ; qu’il ne s’y sent pas satisfait, mais malheureux ; qu’il n’y déploie pas une libre énergie physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. C'est pourquoi l’ouvrier n’a le sentiment d’être à soi qu’en dehors du travail ; dans le travail, il se sent extérieur à soi-même. […] Le travail aliéné, le travail dans lequel l’homme se dépossède, est sacrifice de soi, mortification. Enfin, l’ouvrier ressent la nature extérieure du travail par le fait qu’il n’est pas son bien propre, mais celui d’un autre, qu’il ne lui appartient pas ; que dans le travail, l’ouvrier ne s’appartient pas à lui-même, mais à un autre. »
Marx, Manuscrits, 1844
Locke et la division du travail
« C’est donc le travail qui donne à une terre sa plus grande valeur […] ; c’est au travail que nous devons attribuer la plus grande partie de ses productions utiles et abondantes.[...] En effet, ce n’est pas seulement la peine d’un laboureur, la fatigue d’un moissonneur ou de celui qui bat le blé, et la sueur d’un boulanger, qui doivent être regardées comme ce qui produit enfin le pain que nous mangeons ; il faut compter encore le travail de ceux qui creusent la terre [...] ; de ceux qui mettent en œuvre ces pierres et ce fer ; de ceux qui abattent des arbres [...] ; des charpentiers ; des faiseurs de charrues ; de ceux qui construisent des moulins et des fours, de plusieurs autres dont l’industrie et les peines sont nécessaires par rapport au pain. »
Locke, Traité du gouvernement civil, 1689
Hegel : le travail est formateur
« C’est par la médiation du travail que la conscience vient à soi-même. […] Le travail est désir réfréné […] : le travail forme. Le rapport négatif à l’objet devient forme de cet objet même, il devient quelque chose de permanent, puisque justement, à l’égard du travailleur, l’objet a une indépendance. […] L’être-pour-soi, dans le travail, s’extériorise lui-même et passe dans l’élément de la permanence ; la conscience travaillante en vient ainsi à l’intuition de l’être indépendant, comme intuition de soi-même. »
Hegel, Phénoménologie de l’esprit, « La culture ou formation », 1807
Hegel : la division du travail entraîne des différences sociales
« [Avec la division du travail], le travail est facilité, la production augmente. […] Ainsi, le savoir-faire devient plus machinal, et capable de faire intervenir la machine à la place du travail humain. Mais la division du capital universel […], et, en corrélation avec elle, des modes correspondants de travail, de besoins et de moyens pour les satisfaire, en outre de buts et d’intérêts, ainsi que de culture spirituelle et d’habitude, entraîne la différence des états. Entre ces états, les individus se répartissent selon le talent naturel, le savoir-faire, le libre arbitre et le hasard. »
Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, 1830
Aristote : la main n’est pas un outil mais plusieurs
« L’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils : or, la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire non pas un outil, mais plusieurs. […] Car la main devient griffe, serre, corne ou lance ou épée ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir. »
Aristote, Les parties des animaux, IVe siècle av. J.-C.
Kant : les productions de l’art et de la technique relèvent d’un savoir-faire et non d’un savoir
Kant emploie le mot « art » au sens traditionnel où il est un quasi-synonyme de « technique ».
« L’art en tant qu’habileté humaine est également distinct de la science (le savoir-faire est distinct du savoir), comme une faculté pratique est distincte d’une faculté théorique, comme la technique de la théorie (de même l’arpentage de la géométrie).[...] Ce pour l’exécution de quoi nous manquons de l’habileté immédiate, bien qu’on en ait la connaissance la plus complète, cela seul, comme telle, s’appelle art. »
Kant, Critique de la faculté de juger, « De l’art en général », 1790
Heidegger : la technique et la rationalité instrumentale
« La fabrication et l’utilisation d’outils, d’instruments et de machines font partie de ce qu’est la technique. En font partie ces choses mêmes qui sont fabriquées et utilisées, et aussi les besoins et les fins auxquels elles servent. » « La représentation courante de la technique, suivant laquelle elle est un moyen et une activité humaine, peut […] être appelée la conception instrumentale […] de la technique. Qui voudrait nier qu’elle soit exacte ? […] Une centrale électrique, avec ses turbines et ses dynamos, est un moyen construit par l’homme pour une fin posée par l’homme. L’avion à réaction, la machine à haute fréquence, sont des moyens pour des fins. »
Heidegger, Essais et conférences, « La question de la technique », 1958