Épicure : il faut combler les désirs naturels et non les désirs vains
« Maintenant, il faut parvenir à penser que, parmi les désirs, certains sont naturels, d’autres sont vains. Parmi les désirs naturels, certains sont nécessaires, d’autres sont simplement naturels. Parmi les désirs nécessaires, les uns le sont pour le bonheur, d’autres pour le calme du corps, d’autres enfin simplement pour le fait de vivre. En effet, une vision claire de ces différents désirs permet à chaque fois de choisir ou de refuser quelque chose, en fonction de ce qu’il contribue ou non à la santé du corps et à la sérénité de l’âme, puisque ce sont ces deux éléments qui constituent la vie heureuse dans sa perfection. »
Épicure, Lettre à Ménécée, IIIe siècle av. J.-C.
Épictète : un désir ne peut être vaincu que par un autre désir ou une autre volonté
« Qui peut vaincre une tendance, sinon une autre tendance ? Qui peut vaincre un désir ou une aversion sinon un autre désir ou une autre aversion ? Si l’on me menace de mort, dis-tu, on me contraint ? Ce n’est pas cette menace qui te contraint d’agir, c'est l’opinion que tel ou tel acte est préférable à la mort ; c'est donc bien encore ton jugement qui t’y oblige ; c'est la volonté qui oblige la volonté. »
Épictète, Entretiens, Ier siècle ap. J.-C.
Spinoza : le désir ou conatus est l’essence même de l’homme
« Chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être. […] L’effort par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être n’est rien en dehors de l’essence actuelle de cette chose. […] L’Âme, en tant qu’elle a des idées claires et distinctes, et aussi en tant qu’elle a des idées confuses, s’efforce de persévérer dans son être pour une durée indéfinie et a conscience de son effort. […] Cet effort, quand il se rapporte à l’Âme seule, est appelé Volonté ; mais, quand il se rapporte à la fois à l’Âme et au Corps, il est appelé Appétit ; l’appétit n’est par là rien d’autre que l’essence même de l’homme, de la nature de laquelle suit nécessairement ce qui sert à sa conservation. »
Spinoza, Éthique, 1677
Schopenhauer : la volonté, autre mot pour désigner le désir, n’est que souffrance
« La volonté, à tous les degrés de sa manifestation, du bas jusqu’en haut, manque totalement d’une fin dernière, désire toujours, le désir étant tout son être ; désir que ne termine aucun objet atteint, incapable d’une satisfaction dernière, et qui pour s’arrêter a besoin d’un obstacle, lancé qu’il est par lui-même dans l’infini. […] Tout désir naît d’un manque, d’un état qui ne nous satisfait pas, donc il est souffrance, tant qu’il n’est pas satisfait. Or, nulle satisfaction ne dure ; elle n’est que le point de départ d’un désir nouveau. Nous voyons le désir partout arrêté, partout en lutte, donc toujours à l’état de souffrance : pas de terme dernier à l’effort ; donc pas de mesure, pas de terme à la souffrance. »
Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, 1818
René Girard : le désir est essentiellement mimétique
« Le sujet désire l’objet pace que le rival lui-même le désire. En désirant tel ou tel objet, le rival le désigne au sujet comme désirable. Le rival est le modèle du sujet, non par tant sur le plan superficiel des façons d’être, des idées, etc., que sur le plan plus essentiel du désir. […]. Le sujet attend de cet autre qu'il lui dise ce qu’il faut désirer, pour acquérir cet être. Si le modèle, déjà doté semble-t-il, d’un être supérieur désire quelque chose, il ne peut s’agir que d’un objet capable de conférer une plénitude d’être encore plus totale. Ce n’est pas par des paroles, c'est par son propre désir que le modèle désigne au sujet l’objet suprêmement désirable. […] le désir est essentiellement mimétique, il se calque sur un désir modèle ; il élit le même objet que ce modèle. »
René Girard, La violence et le sacré, 1972
Levinas : le désir de l’autre dans l’amour est insatiable
« Le besoin s’ouvre sur un monde qui est pour moi, il retourne à soi. Le besoin est le retour même, l’anxiété du moi pour soi, égoïsme, forme originelle de l’identification, assimilation du monde en vue de la coïncidence avec soi, en vue du bonheur. [...] À un sujet qui se définit par le souci de soi et qui dans le bonheur accomplit son pour soi-même, nous opposons le désir de l’autre qui procède d’un être déjà comblé et dans ce sens indépendant et qui ne désire pas pour soi […] Le désir d’autrui – la socialité – naît dans un être à qui rien ne manque ou plus exactement il naît par-delà tout ce qui peut lui manquer ou le satisfaire. [...] Le désirable ne comble pas mon désir mais le creuse, me nourrissant en quelque manière de nouvelles faims. »
Levinas, Humanisme de l’autre homme, 1972
Platon : la vie la plus heureuse est-elle celle de l’homme tempérant ou celle de l’homme intempérant ?
« Socrate : – Considère si tu ne pourrais pas assimiler chacune de ces deux vies, la tempérante et l’incontinente, au cas de deux hommes, dont chacun posséderait de nombreux tonneaux, l’un des tonneaux en bon état et remplis, [...] [de] liqueurs, toutes rares et coûteuses et acquises au prix de mille peines et de difficultés ; mais une fois ses tonneaux remplis, notre homme n’y verserait plus rien, ne s’en inquiéterait plus et serait tranquille à cet égard. [...] Mon allégorie t’amène-t-elle à reconnaître que la vie réglée vaut mieux que la vie déréglée, ou n’es-tu pas convaincu ? Calliclès : – Je ne le suis pas, Socrate. L’homme aux tonneaux pleins n’a plus aucun plaisir, et c’est cela que j’appelais tout à l’heure vivre à la façon d’une pierre, puisque, quand il les a remplis, il n’a plus ni plaisir ni peine ; mais ce qui fait l’agrément de la vie, c’est d’y verser le plus qu’on peut. »
Platon, Gorgias, IIIe siècle av. J.-C
Hegel et le désir de reconnaissance
« Le combat du reconnaître est un combat dans lequel il y va de la vie et de la mort ; chacune des deux consciences de soi met en péril la vie de l’autre et s’expose elle-même au péril. [...] La vie n’étant pas moins essentielle que la liberté, le combat se termine d’abord, en tant que négation unilatérale de la manière inégale que voici : l’une des consciences de soi engagée dans le combat préfère la vie, se conserve comme conscience de soi singulière mais renonce à être reconnue ; l’autre s’attache à sa relation avec elle-même, et elle est reconnue par la première comme par ce qui lui est soumis ; – rapport de la maîtrise à la servitude. »
Hegel, Phénoménologie de l’esprit, « Dialectique du maître et de l’esclave », 1807