Platon affirme ici qu’il est trop long et superflu de vouloir à tout prix « décoder » les récits mythiques pour leur trouver une origine vraisemblable : il préfère s’adonner à l’étude la plus importante, la connaissance de soi. Mais il est important de noter ici que les mythes, sous leur forme authentique, lui seront utiles à cette fin.
« Je n’ai point tant de loisir. Pourquoi ? C’est que j’en suis encore à accomplir le précepte de l’oracle de Delphes, "Connais-toi toi-même" ; et quand on en est là, je trouve bien plaisant qu’on ait du temps de reste pour les choses étrangères. Je renonce donc à l’étude de toutes ces histoires ; et me bornant à croire ce que croit le vulgaire, comme je te le disais tout à l’heure, je m’occupe non de ces choses indifférentes, mais de moi-même : je tâche de démêler si je suis en effet un monstre plus compliqué et plus furieux que Typhon lui-même, ou un être plus doux et plus simple qui porte l’empreinte d’une nature noble et divine. »
Platon, Phèdre, vers 380 av. J.-C.
Descartes : qu’est-ce qu’une chose qui pense ?
« Mais qu’est-ce donc que je suis ? Une chose qui pense. Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? C’est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. Certes ce n’est pas peu si toutes ces choses appartiennent à ma nature. Mais pourquoi n’y appartiendraient-elles pas ? […] Y a-t-il rien de tout cela qui ne soit aussi véritable qu’il est certain que je suis, et que j’existe, quand même je dormirais toujours, et que celui qui m’a donné l’être se servirait de toutes ses forces pour m’abuser ? »
Descartes,Méditations métaphysiques, « Méditation seconde », 1641
Rousseau : la conscience morale nous permet d’aimer le bien
« Connaître le bien, ce n’est pas l’aimer : l’homme n’en a pas la connaissance innée, mais sitôt que sa raison le lui fait connaître, sa conscience le porte à l’aimer : c’est ce sentiment qui est inné. […] Conscience ! conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions. »
Rousseau, Émile, « Profession de foi du vicaire savoyard », 1762
Descartes : c’est parce que je doute que je sais avec certitude que j’existe
Dans ce texte, Descartes résume de façon extrêmement concise la démarche qui le conduit à affirmer la certitude première de sa philosophie : je suis une chose qui pense.
« Que nous ne saurions douter sans être, et que cela est la première connaissance certaine qu’on peut acquérir. Pendant que nous rejetons en cette sorte tout ce dont nous pouvons douter, et que nous feignons même qu’il est faux, nous supposons facilement qu’il n’y a point de Dieu, ni de ciel, ni de terre, et que nous n’avons point de corps ; mais nous ne saurions supposer de même que nous ne sommes point pendant que nous doutons de La vérité de toutes ces choses ; car nous avons tant de répugnance à concevoir que ce qui pense n’est pas véritablement au même temps qu’il pense, que, nonobstant toutes les plus extravagantes suppositions, nous ne saurions nous empêcher de croire que cette conclusion : Je pense, donc je suis, ne soit vraie, et par conséquent la première et la plus certaine qui se présente à celui qui conduit ses pensées par ordre. »
Descartes, Principes de la philosophie, 1644
Locke : l’identité personnelle réside dans la conscience de soi
« Puisque la conscience accompagne toujours la pensée, puisque c’est ce qui fait de chacun ce qu’il appelle soi, puisque c’est ce qui le distingue de toutes les autres choses pensantes, c’est en elle seule que réside l’identité personnelle, c’est-à-dire le fait pour un être rationnel d’être toujours le même. Aussi loin que peut remonter la conscience dans ses pensées et ses actes passés, aussi loin s’étend l’identité de cette personne ; c’est le même soi maintenant et alors ; c’est le même soi que celui qui est maintenant en train de réfléchir sur elle, qui a posé alors telle action. »
Locke, Essai sur l’entendement humain, 1689
Kant : le « je pense » est la condition de l’unité de mes représentations
Kant n’affirme pas là qu’une connaissance parfaitement complète du moi doive accompagner mes représentations. Ce serait impossible. Au contraire, le « je pense » désigne ici un cadre formel qui assure l’unité et la continuité des représentations. Mais il n’a pas lui-même de contenu, il nous rend capable de connaître d’autres objets de façon cohérente : il est transcendental.
« Le je pense doit pouvoir accompagner toutes mes représentations ; car autrement serait représenté en moi quelque chose qui ne pourrait pas du tout être pensé, ce qui revient à dire que la représentation serait impossible ou que, du moins, elle ne serait rien pour moi. »
Kant, Critique de la raison pure, 1781
Husserl : toute conscience est intentionnelle, c’est-à-dire visée de quelque chose
« Tout cogito ou encore tout état de conscience "vise" quelque chose, et porte en lui-même, en tant que "visé" (en tant qu’objet d’une intention) son cogitatum respectif. Chaque cogito, du reste, le fait à sa manière. La perception de la "maison" "vise" une maison [...] de la manière perceptive ; le souvenir de la maison "vise" la maison comme souvenir ; l’imagination, comme image [...]. Ces états de conscience sont aussi appelés états intentionnels. »
Husserl, Méditations cartésiennes, 1929
Hume : la conscience de soi dépend intégralement de nos perceptions
« Quand mes perceptions sont écartées pour un temps, comme par un sommeil tranquille, aussi longtemps je n’ai plus conscience de moi et on peut dire vraiment que je n’existe pas. Si toutes mes perceptions étaient supprimées par la mort et que je ne puisse ni penser, ni sentir, ni voir [...] après la dissolution de mon corps, je serais entièrement annihilé [...]. »
Hume, Traité de la nature humaine, 1739
Freud : la nécessité de l’hypothèse de l’inconscient
« [...] L’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime, et [...] nous possédons de multiples preuves de l’existence de l’inconscient. Elle est nécessaire, parce que les données de la conscience sont extrêmement lacunaires ; aussi bien chez l’homme sain que chez le malade, il se produit fréquemment des actes psychiques qui, pour être expliqués, présupposent d’autres actes qui, eux, ne bénéficient pas du témoignage de la conscience. [...] Tous ces actes conscients demeurent incohérents et incompréhensibles si nous nous obstinons à prétendre qu’il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d’actes psychiques ; mais ils s’ordonnent dans un ensemble dont on peut montrer la cohérence, si nous interpolons les actes inconscients inférés. »