« Ô nuit ! Ô rafraîchissantes ténèbres ! Vous êtes pour moi le signal d’une fête intérieure, vous êtes la délivrance d’une angoisse ! Dans la solitude des plaines, dans les labyrinthes pierreux d’une capitale, scintillement des étoiles, explosion des lanternes, vous êtes le feu d’artifice de la déesse Liberté !
Crépuscule, comme vous êtes doux et tendre ! Les lueurs roses qui traînent encore à l’horizon comme l’agonie du jour sous l’oppression victorieuse de sa nuit, les feux des candélabres qui font des taches d’un rouge opaque sur les dernières gloires du couchant, les lourdes draperies qu’une main invisible attire des profondeurs de l’Orient, imitent tous les sentiments compliqués qui luttent dans le cœur de l’homme aux heures solennelles de la vie. ».
Charles Baudelaire, « Le Crépuscule du soir », Le Spleen de Paris, 1869.
Une époque nouvelle
« Nous arrivâmes à Paris Au moment où l’on affichait la mobilisation Nous comprîmes mon camarade et moi Que la petite auto nous avait conduits dans une époque Nouvelle Et bien qu’étant déjà tous deux des hommes mûrs Nous venions cependant de naître »
Guillaume Apollinaire, « La Petite auto », Calligrammes, 1918.
Amoureux de vivre à en mourir
« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant. »
Louis Aragon, « Strophes pour se souvenir », Le Roman inachevé, 1956.
Huile de vie
« New York ! je dis New York, laisse affluer le sang noir dans ton sang Qu’il dérouille tes articulations d’acier, comme une huile de vie Qu’il donne à tes ponts la courbe des croupes et la souplesse des lianes. »
Léopold Sédar Senghor, « New York », Éthiopiques, 1956.
Ma plume dans l’asphalte
« Je trempe ma plume dans l’asphalte, il est peut-être pas trop tard Pour voir un brin de poésie même sur nos bouts de trottoirs Le bitume est un shaker où tous les passants se mélangent Je ressens ça à chaque heure et jusqu’au bout de mes phalanges Je dis pas que le béton c’est beau, je dis que le béton c’est brut Ça sent le vrai, l’authentique, peut-être que c’est ça le truc. »
Grand Corps Malade, « Enfant de la ville », album Enfant de la ville, 2008.