1La politique de la concurrence à l’égard des entreprises
A) Le contrôle des opérations de concentration
but des opérations de concentration : accroître la taille des entreprises par le biais de fusions-acquisitions => réduction de leur nombre sur le marché
les projets de fusion doivent être validés par les autorités de la concurrence :
Commission européenne : compétente pour les projets de fusion d'entreprises réalisant une partie importante de leur chiffre d'affaires dans d'autres pays de l'UE
Autorité de la concurrence : compétente pour les projets de fusion d'entreprises réalisant une partie importante de leur chiffre d'affaires en France
les projets sont souvent acceptés même s'il existe des exceptions
ex. : projet de rachat d’Aer Lingus par Ryanair interdit par la Commission européenne en 2007 ; la fusion aurait créé une position trop dominante sur les vols au départ de Dublin
objectif des autorités : empêcher que certaines entreprises acquièrent une position dominante sur le marché = un pouvoir de marché excessif => forte réduction de l’intensité de la concurrence (préjudiciable pour les consommateurs)
pour déterminer s’il y a un risque, la Commission et l’Autorité de la concurrence se réfèrent à la notion de marché pertinent
marché pertinent : aire géographique d’exercice de la concurrence pour des produits considérés comme substituables
ex. : le marché pertinent des Ferrari n’est pas celui de toutes les voitures : c’est celui des voitures de sport de plus de 50 000 €
limites du marché pertinent : diverses interprétations possibles de l’aire géographique ou de l’ensemble des produits substituables qui doivent être pris en compte
ex. : quels sont les fruits substituables aux pommes ? Quelle distance un consommateur est-il prêt à parcourir pour aller comparer le prix des pommes ?
les autorités de la concurrence doivent réaliser un arbitrage tenant compte à la fois des intérêts des consommateurset des producteurs
dans un contexte d’économie globalisée, une politique industrielle favorisant la constitution de « champions européens » peut s’avérer nécessaire
B) La lutte contre les abus de position dominante
la Commission européenne et l’Autorité de la concurrence luttent contre les abus de position dominante (utilisation de sa position sur le marché - avoir plus de 50 % des parts de marché - pour évincer les firmes concurrentes)
les abus de position dominante peuvent notamment prendre les formes suivantes :
rabais d’exclusivité
ex. : la Commission européenne a infligé une amende record de 1,06 milliard d'euros à la société Intel pour avoir tenté d'évincer la société AMD du marché des microprocesseurs (2009) en versant des « ristournes d'exclusivité » à des fabricants d'ordinateurs pour qu'ils n'équipent leurs PC qu'avec des processeurs Intel
prix prédateurs
ex. : l’Autorité de la concurrence a infligé une amende de 3,5 millions d’euros en 2014 au groupe Amaury (journal l’Équipe) pour avoir lancé un journal sportif low-cost de façon à éliminer le journal concurrent 10 sport qui était apparu sur le marché de la presse sportive
la lutte contre les abus de position dominante peut être facilitée par la dénonciation des entreprises qui s’estiment victimes (ex. : plainte adressée par AMD à l’encontre d’Intel devant la Commission européenne en 2000)
C) La lutte contre les cartels
cartels : ententes entre firmes d’un même secteur pour réduire la concurrence
peuvent conduire à une hausse de prix pour les consommateurs allant jusqu’à 20 ou 30 % (selon l'Autorité de la concurrence)
les cartels permettent l'apparition de surprofits (supplément de profit dû à un pouvoir de marché) par un autre biais que l’innovation, ce qui réduit l'incitation à innover
ils peuvent se traduire par des tentatives d’éviction de concurrents qui chercheraient à entrer sur le marché (abus de position dominante)
les cartels se rencontrent quasi-exclusivement dans les secteurs oligopolistiques car collusion étroite entre firmes possible seulement si lenombre de producteurs est faible
les cartels sont la plupart du temps interdits par le droit de la concurrence ; sanctions infligées par l’Autorité de la concurrence ou par la Commission européenne
ex. : amende de 534 millions d'euros infligée en 2005 par l'Autorité de la concurrence au cartel des mobiles (Orange, SFR et Bouygues) pour avoir fixé des prix élevés et organisé un « yalta des parts de marché » (selon les termes du PDG d'Orange)
pour détecter les cartels, les pouvoir publics peuvent recourir à des procédures de clémence qui permettent d’accorder une immunité d’amende à l’entreprise qui dénonce l’existence du cartel auquel elle participe
ex. : Unilever exempté par l'Autorité de la concurrence du versement de 248 millions d’euros d’amende pour avoir dénoncé l'existence du cartel auquel il participait
certaines ententes entre entreprises sont cependant légales si elles produisent un avantage pour le consommateur
ex. : ententes technologiques qui consistent à mettre en commun les activités de R&D de plusieurs firmes
Transition : pour défendre les intérêts des consommateurs, les autorités de la concurrence interviennent en direction des entreprises. Cependant, leur périmètre de contrôle concernent aussi certaines politiques publiques.
2La politique de la concurrence à l’égard des États
A) Le débat relatif à la place de l’État dans la production des services publics
depuis la fin des années 90 : plusieurs directives européennes de libéralisation des services publics sont entrées en vigueur
selon la Commission européenne : l’ouverture à la concurrence des anciens monopoles publics doit se traduire par :
une diversification de l’offre
une baisse des prix bénéfique aux consommateurs
conséquence : démantèlement de monopoles octroyés précédemment par l'État à des entreprises publiques (c’est-à-dire dont plus de 50 % du capital appartient à l'État et donc contrôlées par l'État) dans le cadre de missions de service public
ex. : ouverture à la concurrence des télécommunications (fin des années 90) a mis fin au monopole de France Télécom (aujourd'hui Orange)
l’Union européenne n'emploie pas le terme de Services publics mais le terme de Service d’intérêt général (SIG) qui comprennent :
les SNEIG : règles européennes de la concurrence ne s’appliquent pas ; se rencontrent dans les domaines suivants : police, justice, protection sociale, système de scolarité obligatoire
les SIEG : règles européennes de la concurrence doivent s’appliquer, se rencontrent dans les domaines suivants : fourniture d’électricité, services postaux, services de télécommunication, transports ferroviaires et aériens
un moyen de développer la concurrence dans les SIEG en situation de monopole naturel, anciennement monopoles publics, est de séparer :
la gestion du réseau : reste en situation de monopole et est confiée soit à un opérateur public, soit à un opérateur privé
l’utilisation du réseau : ouverte à la concurrence et donc accessible à des entreprises privées
ex. : dans le domaine de l’électricité, le réseau électrique est géré par Électricité réseau distribution de France (ERDF) qui est une filiale d’EDF et la fourniture d’électricité est confiée à des entreprises concurrentes : EDF (encore en position largement dominante sur le marché), direct énergie, Engie (=GDF Suez), alterna, énergem, etc.
entreprises produisant des SIEG ont parfois obligation de fournir un service universel :
qui dans un environnement concurrentiel est offert à tous
à des conditions tarifaires abordables
avec un niveau de qualité standard
dans des domaines essentiels pour la cohésion sociale
pour faire respecter les règles de la concurrence dans le domaine des SIEG, des autorités administratives indépendantes ont été créées, notamment :
l’ARCEP (télécoms et du courrier postal)
la CRE (énergie)
ces évolutions récentes ont fait l’objet de débats car elles remettraient en causeles services publics « à la française » (confiés quasi-exclusivement à des administrations ou entreprises publiques)
dans une optique fortement interventionniste : introduire de la concurrence dans des services publics organisés jusqu'alors de façon monopolistique empêcherait de poursuivre certains objectifs sociaux notamment à destination de personnes aux ressources limitées.
dans une optique plus libérale : introduire de la concurrence dans ces secteurs serait un gage d’efficacité dont bénéficieraient les consommateurs sous la forme de baisse de prix
B) Le débat relatif à l’intervention de l’État en matière de politique industrielle
la politique industrielle vise à améliorer la compétitivité des entreprises et la puissance industrielle d'un pays
on distingue :
politique industrielle horizontale : vise à améliorer l’environnement économique du territoire (ex. : crédit impôt recherche, pôle de compétitivité)
politique industrielle verticale : action directe de soutien à certains secteurs de l’économie ou à des « champions nationaux » ( ex. : aides d’État ciblées)
politiques industrielles horizontales sont en générale acceptées par l’Union européenne (ex. : aides d’État non ciblées aux entreprises), notamment si elles stimulent la R&D (ex. : le crédit impôt recherche (CIR) en France)
les politiques industrielles verticales font débat :
produisent des distorsions de concurrence (aides d’État ciblées) pénalisant les entreprises concurrentes et donc au bout du compte les consommateurs
l’État peut faire des erreurs pour choisir les secteurs à privilégier
le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) définit un principe général d’interdiction des aides d’État ciblées (politique industrielle verticale)
des exceptions à ce principe général sont prévues par l’UE
ex. : les aides permettant le sauvetage d’entreprises lorsque celles-ci sont accompagnées d’un plan de restructuration et d’une cession d’activités à des concurrents pour indemniser ces derniers de la distorsion de concurrence ainsi créée (ex. : aide de 2,8 milliards d’euros à Alstom en 2004)
critiques à l’encontre des politiques verticales peuvent être relativisées
certaines politiques en théorie horizontales sont en pratique verticales
ex. : politique de pôles de compétitivité qui poursuit un objectif général de création d’un environnement favorable à l’innovation et qui se traduit par l’apparition de clusters souvent très spécialisés (ex. : Silicon Valley (Californie), Aerospace Valley (Midi-Pyrénées)
les secteurs considérés comme prioritaires font aujourd’hui l’objet d’un large consensus au niveau international :
filière numérique & TIC
biosciences dans le secteur de la santé
matériaux du futur dans le domaine des transports
énergies « vertes »
la constitution ou le renforcement de « champions nationaux » grâce à des aides d’État ciblées ou à une intervention publique pour mettre en œuvre certaines fusions-acquisitions (ex. : Airbus) peut être nécessaire dans un contexte d’économie globalisée :
ex. : le développement et le succès d’Airbus résulte d’une politique industrielle verticale (par le biais d'aides d’État et par l’organisation de fusions-acquisitions entre différents constructeurs aéronautiques)
la politique industrielle peut faire débat :
elle peut entraîner des distorsions de concurrence préjudiciables aux entreprises non aidées
mais d'un autre côté elle peut s'avérer nécessaire pour faire émerger des « champions nationaux » ou européens capables de rivaliser avec les grands groupes étrangers
Bilan : la libre concurrence ne signifie pas l’absence de règles. Les stratégies des entreprises et les politiques publiques sont encadrées par un ensemble de normes juridiquesdestinées à permettre une concurrence réelle et équitable avec pour objectif la défense des intérêts des consommateurs.