toute œuvre artistique est reliée à celles qui l’ont précédée : l’art et la littérature sont liés à la pratique de la réécriture
les œuvres littéraires entretiennent des rapports entre elles par des jeux d’écho et de reprise d’un texte à l’autre : intertextualité
les écrivains s’inspirent de leurs prédécesseurs : proposent leur version personnelle des mythes anciens ou reprennent les mêmes motifs dans leurs œuvres
les pratiques de réécriture : variées, indissociables de la création littéraire, font appel à des normes et des codes précis
la réécriture ne concerne pas seulement les textes : la littérature s’inspire aussi des autres arts (peinture, musique, etc.)
B) Le texte source ou hypotexte
il s’agit du texte originel, d’une référence (source d’inspiration identifiée)
le texte originel fonde une représentation traditionnelle des personnages, du monde : c’est à partir de ce texte que se développent les réécritures
les mythes et la Bible sont des hypotextes essentiels
ex. : mythe de Salomé, figure mineure du Nouveau Testament, a donné lieu à de nombreuses œuvres artistiques. Chaque nouvelle version du mythe s’inspire de l’histoire originelle mais aussi de toutes les versions antérieures : le poème « Salomé » d’Apollinaire est un hommage à la pièce d’Oscar Wilde, Salomé ; Huysmans dans À Rebours décrit un tableau de Gustave Moreau représentant Salomé, etc.
C) La question de la création
jusqu’au XVIIe siècle, l’originalité d’une œuvre n’est pas un critère de qualité ; esthétique de l’imitation au XVIIe siècle ; la Querelle des Anciens et des Modernes remet en cause l’imitation des auteurs de l’Antiquité (pour les Modernes, d’autres sources d’inspiration sont possibles : Perrault dans ses Contes s’inspire non pas des légendes mythologiques mais du folklore populaire)
une nouvelle conception de la littérature qui ne met pas fin à la pratique de la réécriture ; ex. : contes de Perrault repris par les Frères Grimm au XIXe siècle et par des auteurs contemporains
un infléchissement de cette pratique conduit vers une relecture, une reprise, une vision ou une création plus personnelle
la question de la création : simple plagiat (notion apparaît au XVIIIe siècle avec la notion de propriété littéraire) ou apport d’éléments supplémentaires ?
intérêt d’un auteur à réécrire un texte :
faire appel à un patrimoine commun : mémoire commune, références communes, complicité avec le lecteur érudit, notion d’implicite
donner un sens adapté à son temps : le sens du texte source sera différent en fonction du contexte d'écriture, de l'évolution de l’image du personnage
adopter un style personnel (variations sur les genres et les registres) et transposer le texte source à d’autres arts
2Modalités de réécriture et fonctions
A) Citation et allusion
citation : inclut un passage emprunté à un autre auteur (souvent matérialisé par l’emploi de guillemets) : le texte original est cité ou reformulé, dans une intention narrative, dramatique, explicative, symbolique
Ex. : E.E Schmitt achève sa pièce La Nuit de Valognes sur une citation légèrement transformée de Sganarelle, citation de Don Juan de Molière
allusions au texte originel : moins évidentes à repérer, ces éléments implicites font appel à l’érudition du lecteur et supposent une grande connivence entre l’auteur et son lecteur (allusions formelles, allusions thématiques avec quelques variations, etc.)
Ex. : « Le rossignol » (1863) de Catulle Mendès comporte des allusions à Ovide
B) Amplification, ellipse et transposition
amplification : ajouts de thèmes, d’exemples, de digressions qui enrichissent l’histoire
ellipse : épisode passé sous silence
transposition : l’écrivain peut transposer un texte dans un autre genre, réécrire une histoire dans une autre époque en lui donnant une actualité nouvelle ; en reprenant les mythes grec, latin, judéo-chrétien, les écrivains les chargent d’une signification qui fait écho à l’actualité de leur temps
ex. : reprise et modernisation du mythe d’ Œdipe puis de la pièce de théâtre Œdipe Roi de Sophocle par Cocteau dans La Machine infernale (1933)
ex. : Antigone (1944) de Anouilh, reprise modernisée de la tragédie de Sophocle et du mythe antique dans laquelle le contexte de la Seconde Guerre mondiale résonne avec force : désobéir aux lois devient un impératif moral ; Antigone devient la figure de la révolte et de la résistance face à un pouvoir injuste
ex. : Électre (1937) de Giraudoux avec la reprise du mythe inscrite dans l’actualité de l’entre-deux-guerres
C) Pastiche et parodie
pastiche : texte qui imite l’écriture, le style d’un auteur (reproduction des traits caractéristiques : syntaxe, vocabulaire, figures de style, etc.)
contrairement au plagiat, l’auteur d’un pastiche souhaite voir son talent reconnu
un pastiche réussi est le signe une grande maîtrise de l’écriture
forme d’hommage à l’auteur pastiché
ex. : les pastiches de Proust (imitation de Flaubert, Balzac)
parodie : transformation du texte original ; le thème est repris mais le ton est comique
la parodie ne se contente pas d’imiter, elle déforme, caricature à des fins comique, burlesque, satirique, ironique
à l’opposé du pastiche, elle ne cherche pas à être fidèle (changement de genre, de registre, de style)
ex. : la grandeur héroïque peut être tournée en dérision : dans « Les deux coqs » (La Fontaine) les personnages s’expriment dans un registre familier, reprise de la guerre de Troie dans un poulailler, thème tragique traité dans un registre comique (registre burlesque)
la parodie peut être une arme employée à des fins dénonciatrices
D) Fonctions
réécriture comme variation : sur un thème, une forme
réécriture comme subversion : détourner les codes du texte-source afin de le tourner en dérision ; voir la parodie, avec le burlesque (sujet noble, style bas) et l’héroï-comique (sujet bas, style noble)
réécriture comme obsession : démarche personnelle d’un auteur par rapport à ses propres œuvres (répétition de scènes, de motifs, de thèmes d’un livre à l’autre ; effet de reprise et de ressassement)
Ex. : chez Duras, la danse comme rituel obsédant ; chez Modiano, la mémoire et l’oubli comme thèmes récurrents