Quand tu analyses un texte argumentatif, tu dois définir précisément son thème (le sujet), la thèse de l’auteur, et les arguments proposés pour l’étayer. Ta lecture critique te permettra de comprendre la stratégie argumentative de l’auteur : pour cela tu dois être capable de définir la forme du texte (fable, essai, etc.), de déterminer le typed’argumentation (directe ou indirecte), les types d’arguments (ex. : argument d’autorité), le type de raisonnement (inductif, déductif, etc.).
ARappels
Définition
Les stratégies argumentatives : convaincre et persuader
Convaincre : vise une adhésion réfléchie du destinataire en faisant appel à la raison et à son intelligence. On veut le rallier à une thèse par des arguments rationnels, des exemples qui les illustrent et leur donnent tout leur poids.
Persuader : vise une adhésion spontanée du destinataire en s’adressant à sa sensibilité, en suscitant des émotions qui le conduiront à rejoindre notre idée. Le locuteur mobilise tous les procédés susceptibles d’impliquer son destinataire.
Remarque
Le plus souvent, une argumentation cherche à convaincre et à émouvoir.
Exemple
Hugo est abolitionniste (il s’oppose à la peine de mort). Dans différents récits (Le Dernier jour d’un condamné, 1829, Claude Gueux, 1834), il tente d’obtenir l’adhésion du lecteur en utilisant à la fois l’art de convaincre (des arguments rationnels : la peine de mort est remplaçable par la prison à vie, elle n’est pas dissuasive, elle est un « crime légal ») et l’art de persuader (on entend le père imaginant son enfant orphelin, sa détresse face à la torture morale).
Définition
Délibérer
Se livrer à un examen des différents avis ou des différents aspects d’un problème, peser le pour et le contre.
Exemple
Dans Douze hommes en colère (film de Lumet, 1967), un jury doit délibérer pour condamner à mort ou acquitter un jeune homme accusé de meurtre. « Guilty, not guilty » ?
Définition
Argumentation directe/indirecte
L’argumentation est directe lorsque l’auteur présente ses idées sur un sujet directement, sans recourir à un récit de fiction. Il s’exprime sans détour, de manière explicite.
L’argumentation est indirecte lorsque l’auteur présente ses idées de manière détournée, sous la forme d’une fiction. Le lecteur est invité à interpréter ce qui peut être implicite.
Caractéristique
Genres de l’argumentation directe
L’essai : texte de réflexion personnelle en prose, qui contrairement au traité ne vise pas à l’exhaustivité. Inauguré par Montaigne au XVIe siècle, on le trouve sous des formes variées : article de presse ou éditorial, article de dictionnaire ou d’encyclopédie (au XVIIIe siècle surtout), lettre ouverte, etc.
Ex. : l'article « Torture » de Voltaire dans son Dictionnaire philosophique, 1764 ; la lettre « J’accuse » de Zola pour défendre Dreyfus, 1898
La maxime ou la pensée : genres en vogue au XVIIe siècle où on aime les fragments. La réflexion se veut générale, énonce de manière lapidaire une idée originale et surprenante, qui donne à penser.
Ex. : les Maximes de La Rochefoucauld, les Pensées de Pascal au XVIIe siècle
Les différents discours : oraison funèbre, sermon, plaidoirie, réquisitoire, etc.
Ex. : LeSermon sur la mort et brièveté de la vie de Bossuet (XVIIIe siècle), discours de Camus recevant le Prix Nobel de littérature en 1957
Caractéristique
Genres de l’argumentation indirecte
L’apologue, récit contenant un enseignement : la fable, le conte philosophique, certains récits (courts !) ou certaines pièces de théâtre.
XVIIe : les Fables de La Fontaine XVIIIe : les contes philosophiques de Voltaire ; La Colonie de Marivaux, 1750 XXe : Rhinocéros, Ionesco, 1959
L’utopie ou la dystopie (contre-utopie) : présentation d’un monde idéal - ou effrayant au contraire - permettant de critiquer le monde tel qu’il est.
XXe : 1984 de George Orwell, 1949 ; Le Meilleur des mondes, Aldous Huxley, 1932 XXIe : Hunger Games de Suzanne Collins, Le cycle des robots d’Isaac Asimov
BTypes de raisonnements et type d’arguments
Remarque
Pour mener une démonstration, on peut suivre plusieurs chemins. Vois comment procède le texte argumentatif que tu étudies : comment déploie-t-il la réflexion pour exposer ses idées, les rendre convaincantes ?
Définition
Le raisonnement inductif
Raisonnement qui part d’un cas particulier (un exemple) pour remonter à une idée générale.
Exemple
Camus, au début de Réflexions sur la guillotine, part d’une anecdote : le jour où son père, pas vraiment opposé à la peine de mort, a assisté pour la première fois à une exécution et en est revenu bouleversé.
Définition
Le raisonnement déductif
Le raisonnement qui part d’une idée générale (une loi) pour en déduire des propositions particulières. Il a une allure scientifique.
Exemple
« La raison du plus fort est toujours la meilleure, / Nous l’allons montrer tout à l’heure. » Ces deux vers ouvrent « Le Loup et l’Agneau » de La Fontaine
Définition
Le raisonnement par syllogisme
Consiste à poser deux propositions (prémisses) tenues pour vraies, et à en conclure une troisième.
Exemple
Tout homme est mortel. Or Socrate est un homme. Donc Socrate est mortel. Il existe de faux syllogismes. Ex. : Tout ce qui est rare est cher. Or un cheval bon marché est rare. Donc un cheval bon marché est cher.
Définition
Le raisonnement par analogie
Procède par comparaison et met en relation deux situations comparables.
Exemple
Montaigne défend les « Cannibales » dans ses Essais (1580). Il veut bien qu’on les appelle « sauvages », mais la comparaison qu’il prend le conduit à démontrer tout autre chose que ce que l’Européen attend. Les Cannibales sont sauvages comme les fruits qu’on trouve dans la nature : sains, non corrompus. Les fruits cultivés, d’une certaine manière altérés, ne sont pas meilleurs.
Définition
Le raisonnement par l’absurde
Pousse jusqu’au bout une logique et imagine les conséquences ultimes d’une idée pour mieux la réfuter.
Exemple
Les révolutionnaires des Justes (Camus, 1949)s’opposent à l’un des leurs, Stepan, pour qui « il n’y a pas de limites ». Kalyayev lui demande alors s’il pourrait, « les yeux ouverts, tirer à bout portant sur un enfant ».
Définition
Le raisonnement dialectique
Propose une délibération : on pèse les arguments favorables ou défavorables à une thèse en s’efforçant de dépasser leur opposition dans une synthèse.
Exemple
Ce serait la réponse à une question du type « peut-on rire de tout ? », ou « est-il nécessaire d’assister à la représentation d’une pièce pour l’apprécier pleinement ? »
Définition
Le raisonnement concessif
Consiste à admettre en partie des arguments de la thèse adverse pour mieux cerner l’enjeu du désaccord.
Exemple
Certes, l’homme a des « muscles plus forts » que ceux de la femme, et il a même de la barbe, cependant ce n’est pas une raison suffisante pour affirmer qu’il est supérieur, ni pour demander aux femmes de considérer l’homme comme un « maître » : voilà la thèse de la maréchale, personnage de Voltaire, dans son ironique « Femmes, soyez soumises à vos maris » (Mélanges, pamphlets et œuvres polémiques, 1759-1768).
Définition
Argument d’autorité
L’argument d’autorité fait appel à la voix d’une tierce personne qui par son statut (spécialiste, personnalité reconnue) annule la possible opposition à l’argument.
Exemple
Les dramaturges de l’âge classique invoquent souvent les grands auteurs de l’Antiquité (ex. : Aristote). Une publicité pour des chaussures de sport est présentée par un joueur célèbre.
Définition
Argument de type cause/conséquence
Ce type d’argument s’appuie sur un phénomène qui entraîne un autre phénomène.
Exemple
Hugo l’utilise dans son combat abolitionniste. Le spectacle que représente une exécution donne le goût de la violence au peuple, au lieu de l’en détourner. Si la violence entraîne la violence (argument), il faut donc supprimer la peine de mort (thèse).
Définition
Argument ad hominem
Consiste à discréditer la personne plutôt que son discours.
Exemple
Dans Les Tragiques (1616), Agrippa d’Aubigné attaque les personnes qu'il considère comme responsables du massacre des Protestants : Catherine de Médicis, « cette femme hommace », et son fils Charles IX, « cette homme femme ».
Définition
Argument sur les valeurs
S’appuie sur un système de valeurs communément admises.
Exemple
Les philosophes des Lumières prennent les valeurs de liberté, d’égalité ou de tolérance comme fondements de leurs raisonnements : Diderot, dans l’article « Autorité politique » (Encyclopédie, 1751) commence ainsi « Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du Ciel [...]».
Définition
Argument d’expérience
Argument qui s’appuie sur l’observation et l’expérience (souvent de l’ordre du constat).
Exemple
Alain, dans Propos sur le bonheur (1925), fonde certains articles sur son expérience d’enseignant. Montaigne tire de son observation des hommes et des bêtes deux lois naturelles : « le soin que chacun a de sa conservation » et « l’affection pour sa progéniture».
CRéflexes face à un texte argumentatif
Réflexe d'analyse
Contexte
Le paratexte est important : il peut te guider sur le genre argumentatif de l’extrait et son contexte historique. Demande-toi si on peut rattacher ce texte à un mouvement littéraire (l'humanisme, les Lumières, etc.) pour adopter une démarche déductive.
Exemple
Dans Candide (1759), Voltaire dénonce successivement les privilèges (chap.1), la guerre (chap.3), l’intolérance religieuse (chap.6), l’esclavage (chap.19), etc.
Réflexe d'analyse
Thème et thèse du texte
L’une de tes premières questions doit être : quel est le thème du texte ? Est-ce que je perçois une ou plusieurs thèses ?
Le thème est le sujet dont on parle ;
la thèse est l’avis exprimé par le locuteur (qui correspond souvent à l’idée dont le texte cherche à convaincre ou persuader le lecteur, sauf dans un texte ironique) ;
les arguments sont les raisons qu’il avance pour justifier son opinion ;
les exemples viennent illustrer et rendre concrète l’idée proposée.
Remarque
Un tableau peut t’aider à organiser les idées exprimées dans le texte. Rassemble les citations qui vont ensemble, et reformule l’idée qui les réunit. Tu auras déjà bien avancé dans l’analyse ! L’absence d’exemples, ou le martèlement d’un argument plutôt que son explicitation sont aussi à relever ! Le tableau te permet de voir les lacunes, ou l’importance accordée à chaque thèse en présence.
Réflexe d'analyse
Structure du passage
Hiérarchise les connecteurs pour isoler les articulations majeures du texte.
Tu dois comprendre le mouvement argumentatif du texte, notamment grâce à l'observation des liens logiques :
Comment les idées s’articulent-elles ?
Quelle est la progression de la démonstration ?
Associe à l’étude des connecteurs logiques tes remarques sur l’argumentation (thèse, arguments, exemples).
Pour revoir les connecteurs logiques, c’est par ici.
Exemple
D’abord, ensuite, enfin peuvent introduire des arguments. En effet, ainsi peuvent introduire des exemples.
Réflexe d'analyse
Énonciation
Il est indispensable que tu identifies le locuteur (qui parle ?) et le destinataire (à qui est adressé le message ?). Tu distingueras ainsi l’argumentation directe (l’auteur s’exprime en son nom) et l’argumentation indirecte (des personnages fictifs expriment des idées). Tu pourras aussi voir quel parti les auteurs tirent des situations d’énonciation qu’ils choisissent.
Remarque
L’étude des pronoms est souvent révélatrice.
La première personne :
au singulier, la présence d’un « je » exprime l’implication du locuteur : est-elle accompagnée de phrases exclamatives et interrogatives, de modalisation. L’utilisation du « Je » peut inviter le lecteur à s’identifier au locuteur (comme dans le journal Le Dernier jour d’un condamné de Hugo) ;
au pluriel, « nous » peut associer le lecteur au locuteur et contribue à créer une connivence.
La deuxième personne :
repère les adresses aux lecteurs, ou à un destinataire nommé (dans les apostrophes, les questions rhétoriques) : Hugo, Discours sur la misère (1849) « La misère, messieurs, j'aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir jusqu'où elle est, la misère ? »
La troisième personne :
le pronom indéfini on peut avoir plusieurs valeurs (généralisante, péjorative, etc.).
Réflexe d'analyse
Point de vue et modalisation
Relève les indices de modalisation et attribue-les aux locuteurs concernés.
Ex. : dans un dialogue, deux thèses sont opposées. Après les avoir identifiées, vois comment chacun la soutient (bonne foi ou mauvaise foi, opinion nuancée ou tranchée, etc.).
Sois particulièrement attentif aux marques implicites pour bien comprendre la thèse.
Ex. : l’ironie de Montesquieu dans son apologie de l’esclavage (L’Esprit des lois) est à repérer pour bien comprendre que ce n’est pas sa thèse ! (cf. Tableau récapitulatif de la modalisation)
Réflexe d'analyse
Les registres
Tous les registres peuvent être utilisés dans les textes argumentatifs. La tonalité d’un texte te donne des indices sur la stratégie argumentative de l’auteur.
Pour mieux convaincre, l’auteur s’efforce d’être rigoureux et clair (didactique), en faisant apparaître l’organisation du propos, en choisissant des exemples concrets.
Pour mieux persuader, il joue sur les sentiments de pitié (pathétique), d’indignation (polémique) ou sur le rire (toutes les nuances du comique, de la satire à l’ironie, de la parodie à l’humour). Il peut aussi choisir de s’impliquer fortement dans son propos et de manifester ses émotions. Porté par une voix humaine et émue, le discours est d’autant plus efficace.
Exemple
Hugo : « (...) Ces jours-ci, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n'épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l'on a constaté, après sa mort, qu'il n'avait pas mangé depuis six jours. », Discours à l'Assemblée législative, 1849
Réflexe d'analyse
Procédés rhétoriques
Les anaphores, les rythmes ternaires donnent au discours force et solennité. Les procédés d’emphase permettent de mettre en relief certains aspects.
Ex. : Hugo (suite de l’extrait du Discours sur la misère) « Voulez-vous savoir jusqu'où elle peut aller, jusqu'où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au Moyen-Âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ? Voulez-vous des faits ? »
Les figures de style telles que les images (métaphores, comparaisons, personnifications) sont très utilisées car efficaces : on frappe les esprits avec quelque chose de concret, qu’on peut se représenter.
Ex. : « Je veux peindre la France une mère affligée » dans Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné
Les hyperboles ou les accumulations sont aussi un moyen d’amplifier une idée, de la rendre saisissante (parfois au détriment de la bonne foi ou de l’esprit de nuance !).
Ex. : certains caractères de La Bruyère sont proches de la caricature.
L’ironie : permet de faire apparaître l’incohérence ou l’ineptie du raisonnement d’autrui. Concerne les procédés qui mettent en avant le décalage ou l’opposition (antiphrase, oxymore, euphémisme, périphrase), les allusions (cas du pastiche et de la parodie qui reprennent des caractéristiques de style, des stéréotypes, un genre pour s’en moquer).
Ex. : Voltaire, dans le chapitre VI de Candide, ridiculise avec ironie le tribunal de l’Inquisition, qui prétend « brûler des gens à petit feu » pour « empêcher la terre de trembler ».