Le souci de la forme caractérise tout poème, qu’il respecte des contraintes formelles strictes etclassiques, qu’il en propose de nouvelles (ex. : les poètes de L’Oulipo, Ouvroir de Littérature potentielle) ou qu’il place ce souci dans la quête d’une langue expressive et nouvelle. Un texte est poétique quand il crée une émotion chez le lecteur et donne à entendre autrement la langue usuelle. La poésie accorde autant d’importance à la forme (comment est-ce dit) qu’à l’énoncé (ce qui est dit) lui-même (cf. chapitre 3, fiche méthode) : tu dois en tenir compte quand tu étudies un texte poétique !
ARappels
Remarque
Le genre poétique rassemble des textes de formes très variées. On oppose habituellement poésie et prose : on parle pourtant de poèmes en prose (Baudelaire) et tous les vers ne sont pas poétiques ! Certains thèmes semblent plus poétiques : de nombreux poètes se sont pourtant emparés de sujets jugés dégoûtants (« Une charogne » de Baudelaire, Les Fleurs du Mal) ou triviaux (Le Parti pris des choses de Ponge).
Caractéristique
Contraintes formelles
Les contraintes formelles ont longtemps contribué à délimiter le champ du poétique :
formes fixes : le sonnet, la ballade, le rondeau, etc. ;
vers : hexasyllabe, heptasyllabe, octosyllabe, décasyllabe, alexandrin, etc.
strophes : quatrain, sizain, dizain, etc.
Tu rencontreras aussi le distique (deux vers) et le tercet (trois vers) qui ne possèdent donc pas de système complet de rimes.
Caractéristique
Les principales formes poétiques fixes
La ballade (fin du Moyen-Âge) : présence d’un refrain à la fin de chaque strophe et d’un envoi en fin de poème (courte strophe) pour le destinataire du poème.
Ex. : « La ballade des pendus » de François Villon, XVe siècle
Le sonnet : 14 vers (alexandrins ou décasyllabes) organisés en 2 quatrains et 1 sizain (=2 tercets).
Ex. : les 191 sonnets qui composent Les Regrets de Du Bellay, 1558, dont « Heureux qui comme Ulysse…»
Le rondeau : composé de 3 strophes et deux rimes, présence d’un refrain (reprenant une partie ou l’ensemble du premier vers).
Ex. : des auteurs comme Vincent Voiture (XVIIe siècle) ou Charles d’Orléans (XVe siècle).
Caractéristique
Les principales formes poétiques régulières
L’ode : forme non fixe, poème lyrique qui permet de faire les louanges d’une personne, genre élevé.
Ex. : Ronsard (XVIe siècle) ; Hugo a écrit un recueil Odes et ballades, 1828
La fable : récit allégorique souvent en vers qui se termine par une morale.
Ex. : La Fontaine, « Les Animaux malades de la peste », 1678, « Le Corbeau et le Renard », 1668
La satire : poème qui met en avant, par le biais de l’humour, les défauts des hommes, dimension argumentative.
Ex. : Nicolas Boileau (fin XVIIe début XVIIe) critique des poètes de son temps.
Caractéristique
Les principales formes libres
Poème en prose : forme narrative, organisée en paragraphes, effets rythmiques (répétitions), présence d’images.
Ex. : Petits poèmes en prose, Baudelaire, 1869
poème en vers libres : jeu sur les sonorités, longueur des vers variable, jeu avec les blancs et la ponctuation (parfois absente).
Ex. : « Zone », premier poème d’Alcools d’Apollinaire, 1913
Réflexe d'analyse
Si tu dois étudier un poème du XIXe ou du XXe, rappelle-toi que c’est une période où les contraintes formelles se modifient :
vers libre : structure non régulière, vers de différentes longueurs, pas de rimes ni de strophes ;
poème en prose : fin du retour à la ligne qui caractérise visuellement la poésie ;
calligramme : texte poétique disposé de telle manière qu’il forme un dessin en lien avec le sens du poème ;
aux thèmes traditionnels (l’amour, la nature, la guerre, etc.) s’ajoutent des sujets liés au monde moderne : la ville, les moyens de transport, l’usine, la radio, etc. Ex. : « Zone » dans Alcools d’Apollinaire, 1913
Caractéristique
La poésie lyrique
Effet recherché : expression d’émotions, de sentiments personnels ;
thèmes privilégiés : l’amour, le temps qui passe, la mort, la nature ;
procédé : souvent à la 1re personne ; le poème lyrique n’est pas nécessairement autobiographique : le « je » peut être fictif !
Exemple
L’amour (Ronsard), la nostalgie de l’exilé (Du Bellay), le deuil d’un enfant (Hugo), le temps qui passe (Lamartine), le bonheur (Éluard), l’amour malheureux (Aragon, chanté par Léo Ferré sur une musique de Brassens), le deuil d’un être cher (Jaccottet), etc.
Caractéristique
La poésie engagée
Contexte : liée à un moment historique grave (une guerre, une occupation, un régime totalitaire, etc.) avec une portée universelle dans le but de défendre une idée, une cause, rendre hommage à des personnes héroïques ;
effet recherché : dénoncer des injustices sociales et politiques, faire connaître une situation dramatique (témoignage) ;
thèmes : liberté, récit d’actes héroïques, etc.
Exemple
XIXe : Hugo dénonce le travail des enfants dans « Melancholia », 1856
XXe : Éluard publie « Liberté », 1942, Desnos « Ce cœur qui haïssait la guerre » pendant la Seconde Guerre mondiale
BRythmes et sonorités
Réflexe d'analyse
Rythme et sonorités
Le rythme
Quel est le mètre choisi ? Étudie les coupes et césures : le rythme favorise-t-il la régularité, l’ampleur (ex. : avec des enjambements), y a-t-il même un rythme oratoire (rythme ternaire, anaphores) qui donne au texte une certaine élégance/pompe ? Au contraire, le rythme crée-t-il un effet de rupture (un rejet, un changement de mètre) ? Tu peux mettre en relation ces remarques avec le sujet du poème. Ex. : dans son recueil de deuil Leçons, Philippe Jaccottet évoque la mort de manière crue. Ses vers sont disloqués, comme est abrupte la confrontation avec le cadavre d’un être cher.
La musicalité du poème
Les sonorités créent la musicalité propre au texte poétique. Tu peux commenter les rimes (elles rapprochent des termes qu’il est parfois intéressant de commenter), les assonances et les allitérations. Ex. : « Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage » (Marbeuf, XVIIe siècle).
Caractéristique
La disposition des rimes
Les rimes sont disposées selon trois combinaisons possibles : suivies, croisées ou embrassées.
rimes suivies (ou « plates ») : schéma AABB → effet de régularité, d’harmonie ou de monotonie selon le sens du poème ;
rimes croisées (ou « alternées ») : schéma ABAB ;
rimes embrassées : schéma ABBA → caractéristiques du sonnet (dans les quatrains).
Caractéristique
Alternance et richesse des rimes
L'alternance des rimes : la rime est féminine quand elle se termine par un -e- muet (orthographié -e, -es, ou -ent) ; elle est masculine quand elle s'achève par une autre lettre. Dans la poésie classique, rimes féminines et masculines doivent alterner : si la rime (A) est féminine, la rime (B) doit être masculine.
la richesse des rimes : nombre de sons identiques que l'on entend en fin de vers :
les rimes pauvres ont un seul son en commun : doux/poux [ou] ;
les rimes suffisantes ont deux sons en commun : neiges/sacrilèges [è-j] ;
les rimes riches possèdent au moins trois sons en commun : armes/larmes [a-r-m].
Remarque
Le travail sur les sons ne se limite pas aux rimes, mais se fait aussi à l'intérieur des vers. Le poète peut notamment utiliser l’allitération, l’assonance, ou encore la paronomase.
Caractéristique
Les principales sonorités à l’intérieur des vers
Une assonance : répétition d’un son composé de voyelles ;
une allitération : répétition d’un son composé de consonnes ;
une harmonie imitative : effet de son, allitération ou assonance, qui imite un élément en lien avec le thème du vers ;
Ex. : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? » (Racine dans Andromaque) : l’allitération en « s » imite le sifflement du serpent.
une paronomase : rapprochement de mots aux sonorités semblables mais aux sens différents (des paronymes).
Ex. : « Il pleure dans mon cœur / Comme il pleut sur la ville » (Verlaine, Romance sans paroles, 1874)
Caractéristique
Les effets de rythme
L’enjambement : action de repousser au vers suivant un mot ou groupe de mots terminant le vers précédent ;
Ex. : « Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement / Dans la même prison le même mouvement. » (Victor Hugo)
le rejet : lorsque le mot (ou groupe de mots) repoussé est isolé de la suite du vers ;
Ex. : « Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu / Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue » (Arthur Rimbaud, « Le dormeur du val », 1870)
le contre-rejet : lorsqu’à l’inverse un mot est isolé à la fin du vers précédent ;
Ex. : « Après quelques moments, l’appétit vint : l’Oiseau, / S’approchant du bord, vit sur l’eau [...] » (Jean de la Fontaine, 1678)
la litanie : long texte à la structure répétitive (désigne à l’origine un type de prière).
CRéflexes face à un texte poétique
Réflexe d'analyse
Contexte
Inscrire le poème dans l’histoire littéraire va te permettre de tirer des hypothèses, notamment sur le poids des contraintes formelles. Ex. : tu n’aborderas pas un sonnet de Ronsard de la même manière qu’un sonnet de Baudelaire. Comment chacun de ces poètes exploite-t-il la forme fixe ? Prend-il des libertés ? Lesquelles ? Dans quel but ? En déterminant le contexte (historique, politique, social) tu vas pouvoir dégager des hypothèses sur la visée du poème, et donc les registres mobilisés.
Exemple
Dans le cas de la poésie engagée, le contexte (ou le texte lui-même) donne souvent un sujet de débat, sur lequel le poète prend position. Un texte tiré des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné (1616) peut vouloir peindre « les misères » des Protestants lors des guerres de religion (pathétique), dénoncer violemment les catholiques responsables de ces malheurs (polémique), etc.
Réflexe d'analyse
Situation du passage
Détermine si tu as un poème complet ou un extrait. Si c’est un extrait, cherche son unité, sa spécificité.
Réflexe d'analyse
Composition du poème
Considère le poème comme un tout, comme un petit mécanisme et essaye de voir comment il fonctionne.
Y a-t-il des étapes, des articulations, des ruptures ?
Ex. : repérer la chute d’un sonnet dans le dernier vers : « Il a deux trous rouges au côté droit » renvoie au début du « Dormeur du val » d’Arthur Rimbaud, pour une relecture bien plus tragique du poème à la lumière du dernier vers.
Comment sont organisées les strophes (de manière régulière ? irrégulière ?) ? Rappelle-toi que généralement, chaque strophe correspond à une idée, une étape.
Il faut être attentif à la ponctuation : est-elle présente ? Joue-t-elle un rôle ?
Forme du poème : distingues-tu une disposition particulière du poème ? Fait-elle sens ?
Réflexe d'analyse
Énonciation
Demande-toi toujours dans un poème : qui parle ( 1re, 3e personne du singulier) ? et à qui (2e personne du singulier, du pluriel, 3e personne) ?
Repères-tu un ou plusieurs système(s) d’énonciation ?
Exemple
Le fabuliste peut passer du récit au discours, pour s’adresser directement au lecteur dans la morale, comme dans « Les Animaux malades de la peste » de La Fontaine.
Caractéristique
Le « je » dans la poésie
Le « je » autobiographique : le poète revient sur ses propres émotions, sur des événements de sa vie. Connaître la biographie de l’auteur peut alors éclairer la compréhension du poème ;
Ex. : Hugo a perdu sa fille de 20 ans, Léopoldine : ses poèmes « Demain dès l’aube » ou « À Villequier » résonnent-ils autrement ?
le poète est libre d’utiliser un « je » qui n’est pas absolument fidèle !
Ex. : Ronsard s’adresse à Marie, Cassandre ou Hélène dans ses sonnets, s’inspirant de bien d’autres figures féminines.
le « je » universel : locuteur (celui qui parle) et récepteur (celui qui lit) se retrouvent.
Ex. : « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! Insensé qui crois que je ne suis pas toi ! » déclare Hugo au seuil des Contemplations (1856) Ex. : Baudelaire apostrophe ainsi son lecteur : « Mon semblable, mon frère » dans Les Fleurs du Mal (1857)
Réflexe d'analyse
Lexique
Repère le vocabulaire mobilisé par l’auteur et détermine les champs lexicaux : cela te permet de bien comprendre le thème et de voir de quelle manière le poète traite son sujet.
Réflexe d'analyse
Registres
Tu peux trouver tous les registres dans un texte poétique. Certains sont cependant dominants.
Ex. : « Ô triste, triste était mon âme / À cause, à cause d’une femme » Verlaine, Romances sans paroles, 1874
Poésie engagée : registres polémique, satirique, ironique mais aussi pathétique, lyrique, etc.
Ex. : Hugo termine ainsi « Souvenir de la nuit du 4 » dans les Châtiments, 1853. « Il » désigne Napoléon III. « Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l'été, Où viendront l'adorer les préfets et les maires ; C'est pour cela qu'il faut que les vieilles grand-mères, De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps, Cousent dans le linceul des enfants de sept ans. »
Poésie plus ludique : comique (burlesque, humour, etc.).
Ex. : Dans L’Instant fatal, Raymond Queneau reprend avec humour un sonnet de Ronsard et propose un contre-blason : « Si tu crois petite/si tu crois ah ah/que ton teint de rose/ta taille de guêpe/tes mignons biceps/tes ongles d'émail/ta cuisse de nymphe/et ton pied léger/si tu crois petite/xa va xa va xa va/va durer toujours/ce que tu te goures/fillette fillette/ce que tu te goures »
Réflexe d'analyse
Figures de style
Dans un texte court comme l’est celui du poème, chaque mot est pesé, s’articule aux autres. Tout fait sens. La langue poétique étant très expressive et souvent dense, consacre du temps à l’analyse des figures de style. Le genre poétique est le genre de l’image : comparaison et métaphore, personnification. Ne les prends pas comme des évidences et analyse-les. Ex. : « La terre est bleue comme une orange » Éluard, « Ma Douleur donne-moi la main, viens par ici » Baudelaire