Le texte de théâtre est un texte écrit pour être joué devant des spectateurs, ce qui le distingue des autres textes littéraires. Le texte théâtral écrit est représenté, mis en scène, incarné par des comédiens. Le théâtre est l’art du hic et nunc (« ici et maintenant ») : c’est un art vivant et visuel (acteurs, costumes, décors, lumière). (cf. Chapitre 1)
ARappel
Remarque
En fonction des émotions suscitées par les pièces, de leur tonalité, de leurs thèmes, on distingue des sous-genres. Souviens-toi que les formes théâtrales évoluent (en vers ou en prose, avec ou sans actes/scènes) au fil des siècles, du théâtre classique au théâtre contemporain.
Caractéristique
Les règles du théâtre classique
La règle des trois unités (temps, lieu, action), que Boileau a résumée en deux vers :
« Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli » (Art poétique).
Il faut y ajouter l’unité de ton (pas de mélange entre comique et tragique) ;
la règle de bienséance (pas de nudité, de sang, etc., on pense au scandale du Cid en 1636, avec l’épée tachée du sang du Comte, pourtant tué en coulisses) ;
la règle de vraisemblance.
Remarque
Ces règles caractérisent principalement le théâtre du XVIIe. Le théâtre s’est rapidement affranchi de ces règles (Un spectacle dans un fauteuil de Musset au XIXe, qui rassemble des pièces destinées à être lues, et non jouées ; Lorenzaccio réclame 35 changements de décor, etc.).
Définition
Comédie
Effet recherché : divertir, faire rire, ce qui n’exclut pas la réflexion ; registre majoritairement comique ;
Castigat ridendo mores : la comédie corrige les mœurs par le rire ;
dénouement heureux, un mariage clôt souvent la pièce ;
personnages : appartiennent au peuple ou à la bourgeoisie.
Exemple
Molière, Les Fourberies de Scapin, 1662 ; Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, 1784
Définition
Tragédie
Effet recherché : terreur et pitié, registre majoritairement tragique ;
catharsis : purification des passions, de l’âme ;
dénouement malheureux (la mort, la folie) ;
personnages : hors du commun (rois, demi-dieux), héros, jouets de la fatalité, en proie à des passions contraires (devoir/amour).
Exemple
Antigone ou Électre de Sophocle, reprises respectivement au XXe par Anouilh (Antigone, 1944) et Sartre (Les Mouches, 1943) ; Phèdre de Racine, Horace de Corneille pour le XVIIe
Définition
Drame bourgeois
Effet recherché : susciter la sympathie du spectateur (registre pathétique, larmoyant) ;
dénouement : visée moralisatrice ;
personnages : héros bourgeois, domestiques.
Ex. : La Mère coupable, Beaumarchais, 1792
Définition
Drame romantique
Effet recherché : faire « une peinture totale de la nature » (Hugo), mélange des registres ;
dénouement : souvent tragique ;
refus des unités de temps et de lieu, et de la règle de bienséance ;
personnages : les héros sont des individus qui affirment leur existence unique.
Ex. : Hernani, Victor Hugo, 1830
Définition
Théâtre de l’absurde
Effet recherché : mise en évidence du caractère à la fois drôle et tragique de la vie ;
« théâtre de la dérision » : des situations tragiques sont traitées de manière comique (humour noir) ;
situations absurdes, dénuées de sens ;
personnages : solitude des personnages, incapables de communiquer.
Ex. : En attendant Godot, Beckett, 1952 et La Cantatrice chauve, Ionesco, 1950
BL’énonciation dans le genre théâtral
Réflexe d'analyse
Énonciation
L’énonciation est très importante dans le théâtre, tu dois porter une grande attention à la distribution de la parole. Dans le théâtre, ce sont les personnages qui prennent en charge l’énonciation : il n’y a pas de narrateur. Demande-toi toujours : qui parle ? à qui ? comment ? (échange vif, tirade ?). Dans le cas du monologue, le personnage peut s’adresser à lui-même, à un destinataire absent, en tout cas au spectateur.
Caractéristique
Les paroles des personnages
Une réplique : paroles adressées à un autre personnage ;
une tirade : une longue réplique qui permet aux personnages d’expliquer, de raconter, d’exprimer une émotion ;
un aparté : réplique destinée aux spectateurs, excluant un ou plusieurs personnages pourtant sur scène ; permet de dévoiler des pensées cachées d’un personnage, effet de proximité, de complicité avec le spectateur ;
la stichomythie : échange vif de répliques très courtes (étymologiquement « vers à vers ») ; permet de créer un effet de tension ou un effet comique ;
un monologue : prise de parole d’un personnage seul en scène ; permet de transmettre des informations, des émotions, des réflexions.
Remarque
Au théâtre, on fait « comme si » : un décor en bois est une forêt, trois acteurs représentent une foule, il y a du vrai poison dans la fiole de Ruy Blas, etc. Ces conventions touchent aussi l’énonciation (monologue, aparté, etc.). Ex. : les apartés de Dom Juan, dans la pièce éponyme de Molière. Le séducteur courtise Charlotte et Mathurine dans une scène où elles sont toutes deux présentes !
Définition
La double énonciation
Le personnage s’adresse à la fois à un ou plusieurs des personnages de la pièce et aux spectateurs.
Le personnage peut également s’adresser au public directement, mettant en évidence la double énonciation.
Exemple
Lors du monologue d’Harpagon (L’Avare, Molière, 1668), l’acteur cherche souvent sa « cassette » parmi les spectateurs, les prenant à partie, les fouillant.
Définition
Le quiproquo
Erreur qui fait qu’on prend une chose ou une personne pour une autre. Les personnages croient parler de la même chose/personne, mais chacun se trompe sur ce dont parle l’autre.
Le spectateur est conscient de cet écart, il y a plusieurs effets possibles :
malentendu comique : la confusion est drôle, sans conséquences graves ;
malentendu tragique : la confusion crée une situation entraînant la souffrance, la mort.
Exemple
Malentendus comiques :
Horace, dans L'École des femmes de Molière, 1663, confie son amour pour Agnès à Arnolphe, alias Monsieur de la Souche, qui doit l’épouser. Il choisit pour confident, sans le savoir, précisément celui qu’il faudrait tenir éloigné du secret.
Dans L’Avare (V,3), Harpagon parle de sa cassette et Valère parle d’Élise, en utilisant le pronom « elle ».
Malentendu tragique :
Néron, jaloux de son demi-frère Britannicus, contraint ce dernier à rompre avec celle qu’il aime, Junie. La jeune femme ignore le chantage exercé par Néron, qui les espionne pour s’assurer que Britannicus met un terme à sa relation avec Junie, désespérée.
Définition
Didascalies
Toutes les indications que l’auteur donne au metteur en scène, aux comédiens et/ou au lecteur : nom du personnage qui prend la parole, intonation, déplacement, éléments de décor, accessoires, etc.
Elles sont signalées par des parenthèses et sont souvent en italiques.
Remarque
La part des didascalies est plus ou moins importante en fonction des époques (quasi inexistantes dans le théâtre classique, plus fournies chez les Romantiques). Au XXe, la didascalie change quasiment de statut, car elle est souvent destinée au lecteur : elle est parfois impossible à traduire sur scène. Ex. : Les « dix-sept coups anglais » que sonne la pendule d’Eugène Ionesco dans La Cantatrice chauve (1950).
CRéflexes d’analyse face à un texte théâtral
Réflexe d'analyse
Contexte
Demande-toi à quel mouvement littéraire et à quel genre se rattache l’œuvre théâtrale : ces indices te guideront pour le repérage des registres, du respect (ou non) des conventions propres au mouvement ou au genre auquel elle se rapporte.
Réflexe d'analyse
L’action et l’intrigue
Une des premières questions à te poser concerne le sujet de l’extrait : de quoi est-il question ? Est-ce une scène qui fait avancer l'action, la retarde ? Dans tous les cas... comment ?
Ex : la scène met-elle l'accent sur les relations entre personnages (aveu, dispute) ? Ce qui peut entraîner des décisions, des coups de théâtre, etc.
Ex : la scène donne-t-elle la parole à un personnage qui exprime ses sentiments, son désarroi dans un monologue (sans véritable conséquence sur l'action) ?
Réflexe d'analyse
Situation du passage
Repère où se situe le passage au sein de l’œuvre : est-ce la scène d’exposition ? Est-ce le dénouement ? Utilise le paratexte qui t’indique l’acte et la scène pour t’aider à situer l’extrait dans la pièce.
Remarque
Jusqu’au XXe siècle, une pièce de théâtre est le plus souvent composée de 5 actes, divisés en scènes. Dans la tragédie classique, le point culminant a souvent lieu au troisième acte.
Caractéristique
La scène d’exposition
Tu dois être particulièrement attentif aux éléments suivants :
les éléments nécessaires à la compréhension de l’intrigue (où, quand, quoi ?) et des relations entre les personnages (caractère, passé, etc.). Ex. : l’héroïne et sa confidente dans Phèdre de Racine ou deux amis protagonistes dans Le Misanthrope de Molière, donnent les informations nécessaires au spectateur.
Parfois, imitant le théâtre antique, un personnage appelé « prologue » se charge de présenter les personnages, et annonce même l’issue de la pièce. Ex. : Antigone d’Anouilh, 1944
Parfois, le dramaturge se plaît à déjouer les attentes du spectateur en refusant les informations. Ex. : Ionesco au début de La Cantatrice chauve, 1950
Réflexe d'analyse
Scènes types/situations types
la scène d’aveu ;
Ex. : Phèdre, l’héroïne de Racine, avoue qu’elle aime Hippolyte. Il sera intéressant de voir à qui elle fait l’aveu de cet amour interdit : d’abord à sa confidente Œnone, puis à l’intéressé lui-même, enfin à son mari, Thésée.
la scène de reconnaissance ;
Ex. : nombreuses dans les dénouements de Molière, les retrouvailles entre parents et enfants. Dans L’Avare, Mariane et Valère sont depuis longtemps orphelins de père, mort dans un naufrage. Mais voilà que les dernières scènes introduisent Anselme, qui n’est autre que ce père, rescapé : ils se reconnaissent dans l’émotion, et le père, riche bien sûr, bénit les mariages de ses enfants retrouvés.
la scène de dispute (entre amis, entre amants) ;
Ex. : les amis dans Art de Yasmina Reza, Célimène et Alceste dans Le Misanthrope, Jean et Bérenger dans Rhinocéros de Ionesco, les révolutionnaires dans Les Justes de Camus.
Réflexe d'analyse
Structure du passage
Dégage les grands mouvements de l’extrait de scène qui t’est proposé. Les didascalies peuvent donner des indices sur l’articulation du passage.
Réflexe d'analyse
Le rythme du texte
Le texte, dialogue ou monologue, suit un rythme : rapide dans la dispute, ou au contraire très lent dans une scène de tension extrême. Au cours d’une même scène, plusieurs rythmes peuvent se succéder. N’oublie pas que, joué, le texte se déploie selon un autre rythme qu’une lecture linéaire : jouer n’est pas réciter ! Pense aux silences, indiqués par les didascalies ou non, ou aux gestes qui accompagnent certains mots : ils modifient la manière d’entendre le texte. Pense aussi aux personnages qui ont peu (ou pas) de texte mais qui se déplacent, jouent, etc...
Caractéristique
Étudier le rythme d’un dialogue
Pour étudier le rythme d’un dialogue, étudie :
la répartition de la parole : la longueur des répliques est importante. Ex. : qui mène le jeu ? Quelle place (nombre de lignes/vers) est accordée à l’un ou l’autre des personnages ?
l’organisation de l’échange : les répliques peuvent s’opposer (reprise ironique des paroles de l’autre pour se moquer de lui, discréditer ses idées), se compléter, etc. Commente ces effets de symétrie, d’écho.
le rythme de l’échange : un dialogue dans lequel les personnages se répondent vers à vers est une stichomythie. Pense également à étudier les silences.
Réflexe d'analyse
Les registres
En partant de l’effet produit par le texte sur le lecteur, mais aussi du genre de la pièce (tragédie, comédie, etc.) définis le ou les registres du texte.
Ex. : il est rare qu’une page de Molière ne comporte pas de comique, une page de Racine pas de pathétique et/ou de tragique, une page de Beckett pas de comique et de tragique à la fois (théâtre de l’absurde), etc.
Pose-toi la question du comment ! Ne te contente pas d’une réponse simple : « c’est (assez) drôle…» : identifie dans le texte ce qui crée cet effet.
Ex. : cette page est drôle → comment l’auteur nous fait-il rire ? Rit-on d’un personnage ridicule (comique de caractère) ? Dans ce cas, quel est le trait grossi ? La prétention (sentiment de supériorité, orgueil, amour-propre) ? Alors comment l’est-il (hyperboles, images, champ lexical de la vanité) ? Va jusqu’au bout de la chaîne !
N’oublie pas d’observer les niveaux de langue (soutenu ? familier ?).
Réflexe d'analyse
Personnages
Le théâtre s’articule autour de personnages qui se définissent essentiellement par ce qu’ils disent. Pour les étudier, pose-toi les questions suivantes :
la question du statut des personnages : personnage principal ? secondaire ? héros ? confident ?
la question du type de personnage : jeune premier ou jeune première (Horace et Agnès dans L’École des femmes de Molière) ? vieux barbon (Arnolphe) ? valet inventif ou servante impertinente (Dubois dans Les Fausses Confidences de Marivaux, Scapin ou Toinette chez Molière) ?
la question du caractère des personnages : qualifie chaque personnage à l’aide d’un ou plusieurs adjectifs. Ex. : Mme Pernelle est autoritaire (scène d'exposition du Tartuffe), Stepan est radical (dans Les Justes de Camus), Néron est cruel (dans Britannicus de Racine), Dubois est manipulateur (Les Fausses Confidences de Marivaux), etc. Les didascalies peuvent être très utiles !
Remarque
Regarde de près le type des phrases : en fonction des actes de parole (donner un ordre, affirmer, poser des questions), tu peux aussi caractériser un personnage (autoritaire, catégorique, curieux, etc.).
Rappel
Le vocabulaire de l’analyse
Le terme « drame » renvoie étymologiquement à l’action. Il désigne ensuite une pièce de théâtre, qui déploie cette action ;
au sens propre, est ainsi « dramatique » ce qui fait avancer l’action, loin du sens plus familier qui en fait un quasi synonyme de tragique ;
un dramaturge ou un auteur dramatique désigne celui qui écrit du théâtre (sans que ce dernier se cantonne au drame).
Rappel
Exploiter les mises en scène que tu connais
Au théâtre, le non verbal a toute son importance. Accorde une place dans l’analyse et la réflexion à tous les éléments qui éclairent la lecture du texte :
dans le choix des acteurs : distribution artistique, répartition des rôles, etc. ;
dans le jeu des acteurs : langage du corps, intonations, silences, etc. ;
dans la scénographie : éléments de décor, accessoires, lumières, voix off, écran, etc.
Réflexe d'analyse
Le texte de théâtre en vers
Dans le cas des pièces versifiées (principalement aux XVIIe et XIXe siècles), tu ne peux pas laisser de côté la forme poétique du texte. Prends quelques instants pour relever :
des rimes signifiantes
Ex. : des antonymes qui montrent bien la place des femmes selon Arnolphe : « Votre sexe n’est là que pour la dépendance. / Du côté de la barbe est la toute-puissance », L’École des femmes, Molière, 1663
un rythme particulier
Ex. : « Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir », Suréna, Corneille, 1674
un vers réparti entre plusieurs interlocuteurs
Ex. : entre Arnolphe et Agnès. « Ouf. / Hé ! Il m’a... / Quoi ? / Pris... / Euh ! / Le... / Plaît-il ? / Je n’ose » L’École des femmes, Molière, 1663
Remarque
Pense à bien intégrer ces remarques stylistiques dans ton étude des personnages, des registres etc.