Libertin et libertaire, Diderot se penche ici sur la question de la place de l’homme dans la société ; cette idée sera reprise par Rousseau.
« La nature n’a fait ni serviteur, ni maître. - Je ne veux ni donner ni recevoir de lois »
Les Eleuthéromanes, Diderot, 1884
Qu’est-ce que l’homme ?
À la question « qu’est-ce que l’homme ? », Pascal répond en insistant sur sa misérable condition. Ses conclusions suivent le plus souvent un exemple concret qu’il analyse et dont il tire un enseignement.
« un milieu entre rien et tout […] également incapable de voir le néant d’où il est tiré et l’infini, où il est englouti. »
Les Pensées, Pascal, 1670 (édition posthume)
Corriger les hommes en les divertissant
Attaqué pour son Tartuffe, pièce comique dans laquelle le dramaturge attaque les faux-dévots, Molière écrit ce texte afin d’obtenir la protection du roi. Il y défend sa pièce donnant sa définition de ce que doit être la comédie.
« Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que [...] je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle. »
Premier placet présenté au roi sur la comédie du Tartuffe, Molière, 1664
Persuader
Moraliste, La Rochefoucauld donne dans le désordre une suite de sentences définissant ce que sont la vertu et le vice ; il fait part ici de sa réflexion sur l’art de persuader. La concision de ces maximes leur donne toute leur force.
« L’homme le plus simple qui a de la passion persuade mieux que le plus éloquent qui n’en a point. »
Maximes, La Rochefoucauld, 1664
« La vraie gloire est de convaincre »
Dans les romans d’Hugo, le narrateur, extérieur à l’histoire, intervient : c’est par un commentaire exprimé au présent de vérité générale qu’Hugo défend son point de vue.
« Rien n’est stupide comme vaincre ; la vraie gloire est convaincre. »
Les Misérables, Hugo, 1862
Ceux dont il faut se méfier
Dans cet essai, Primo Levi s’appuie sur son expérience et sur d’autres témoignages pour proposer une réflexion de fond sur ce qu’a été la Shoa et sur les questions qu’elle suscite.
« Il faut donc nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d’autres voix que celle de la raison. »
Les naufragés et les rescapés, Primo Levi,1986
Qu’est-ce que la littérature ?
Sartre, auteur engagé, explique ici la portée argumentative que peut avoir la littérature.
« La littérature vous jette dans la bataille ; écrire, c'est une certaine façon de vouloir la liberté ; si vous avez commencé, de gré ou de force vous êtes engagé. »
Qu'est-ce que la littérature ? Sartre, 1948
Être un homme
Érasme, comme les penseurs de son temps, se penche sur la question de l’éducation. Contrairement aux autres animaux, qui peuvent suivre leur instinct, l’homme a besoin d’une éducation, sans quoi, il demeure un animal, plus sauvage encore que les autres animaux. Cette phrase ramassée, construite sur une opposition, résume sa pensée.
« L'homme ne naît pas homme, il le devient. »
Éloge de la folie, Érasme, 1511
Figaro
C’est le personnage de Figaro, valet révolutionnaire de la pièce de Beaumarchais, qui prononce cette phrase. Malmené par son maître comme par son époque, il est le porte-voix de son auteur et revendique, comme bon nombre de ses contemporains, la liberté d’expression. Cette courte phrase, construite sur une opposition, résume les revendications du personnage.
« Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. »
Le Mariage de Figaro, Beaumarchais,1784
« L’autorité de ceux qui enseignent nuit souvent à ceux qui veulent apprendre »
Montaigne, comme les humanistes est attentif aux questions relatives à l’éducation. En critiquant l’enseignement traditionnel, il expose sa pédagogie, qui s’inspire largement de l’éducation qu’il a lui-même reçue. C’est l’expérience (souvent la sienne) et le partage avec le lecteur de cette expérience qui fondent son raisonnement.
« On ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un entonnoir, et notre charge ce n'est que redire ce qu'on nous a dit. Je voudrais qu'il corrigeât cette partie, et que, de belle arrivée, selon la portée de l'âme qu'il a en main, il commençât à la mettre sur la montre, lui faisant goûter les choses, les choisir et discerner d'elle-même ; quelquefois lui ouvrant chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. Je ne veux pas qu'il invente et parle seul, je veux qu'il écoute son disciple parler à son tour. Socrate et, depuis, Arcésilas faisaient premièrement parler leurs disciples, et puis ils parlaient à eux. Obest plerumque iis qui discere volunt auctoritas eorum qui docent (l’autorité de ceux qui enseignent nuit souvent à ceux qui veulent apprendre). »
« De l’institution des enfants », Essais I, indiquer le chapitre, Montaigne, 1595
L’imagination
Pascal veut montrer la misère de l’Homme sans Dieu, il dénonce dans cet extrait la faiblesse de la raison humaine. Sa thèse est illustrée d’un exemple.
« Le plus grand Philosophe du monde, sur une planche plus large qu’il ne faut pour marcher à son ordinaire, s’il y a au dessous un précipice, quoi que sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. [...]
Ne diriez-vous pas que ce Magistrat dont la vieillesse vénérable impose le respect à tout un peuple, se gouverne par une raison pure et sublime, et qu’il juge des choses par leur nature, sans s’arrêter aux vaines circonstances qui ne blessent que l’imagination des faibles ? Voyez-le entrer dans la place où il doit rendre la justice. Le voilà prêt à ouïr avec une gravité exemplaire. Si l’Avocat vient à paraître, et que la nature lui ait donné une voix enrouée, et un tour de visage bizarre, que le barbier l’ait mal rasé, et que le hasard l’ait encore barbouillé, je parie la perte de la gravité du Magistrat. »
Pensées, Pascal, seconde édition 1660
Réflexions ou Sentences et maximes morales
La Rochefoucauld donne dans le désordre une suite de réflexions pour définir ce que sont la vertu et le vice. Le présent de vérité générale et la brièveté de ces sentences donnent au propos de l’auteur toute sa force.
Maxime 19 : « Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui » Maxime 26 : « L’orgueil est égal dans tous les hommes, et il n’y a de différence qu’aux moyens et à la manière de le mettre à jour » Maxime 149 : « Le refus des louanges est un désir d’être loué deux fois » Maxime 372 : « La plupart des jeunes gens croient être naturels, lorsqu’ils ne sont que malpolis et grossiers » « En amour, celui qui guérit le premier est toujours le mieux guéri. »
Réflexions ou Sentences et maximes morales, La Rochefoucauld, 1665
De l’esclavage des nègres
Montesquieu, dans son ouvrage qui analyse les différents systèmes politiques et défend les valeurs des Lumières, dénonce dans ce passage l’esclavage en utilisant un procédé courant dans la critique sociale au XVIIIe : l’ironie.
« Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais : Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres. Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être si sage, ait mis une âme, surtout bonne, dans un corps tout noir. Il est si naturel de penser que c'est la couleur qui constitue l'essence de l'humanité, que les peuples d'Asie, qui font les eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une façon plus marquée. »
De l’esprit des lois, Montesquieu, 1748
Traité sur la tolérance
Voltaire a pris la défense de Calas, condamné sur la base de préjugés religieux. Il écrit son Traité sur la tolérance pour soutenir son combat. À la fin du texte, il s’adresse directement à un dieu à même de rassembler les hommes, appel qui use des techniques de rhétorique propres au discours.
« Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. […] Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix [...] »
Traité sur la tolérance, Voltaire, 1763
Du contrat social
Rousseau veut rendre aux hommes la liberté qu’ils ont perdue par la faute de la société. Il est à la recherche d’une société plus harmonieuse.
« Si l’on recherche en quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de législation, on trouvera qu’il se réduit à ces deux objets principaux, la liberté, et l’égalité.[...]
J’ai déjà dit ce que c’est que la liberté civile ; à l’égard de l’égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes, mais que, quant à la puissance, elle soit au-dessous de toute violence et ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang et des lois, et quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre : ce qui suppose du côté des grands modération de biens et de crédit, et du côté des petits, modération d’avarice et de convoitise. »
Du contrat social, Rousseau, 1762
Hugo à l’Assemblée
C’est en député de la IIe République qu’Hugo prononce ce discours resté célèbre dans lequel il appelle à l’abolition de la peine capitale. Les procédés rhétoriques sont nombreux (questions oratoires, parallélismes, répétitions, etc.), ils donnent à ce discours toute sa force.
« Messieurs, une constitution, et surtout une constitution faite par la France et pour la France, est nécessairement un pas dans la civilisation. Si elle n’est point un pas dans la civilisation, elle n’est rien. Eh bien, songez-y, qu’est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne. Messieurs, ce sont là des faits incontestables. L’adoucissement de la pénalité est un grand et sérieux progrès. Le dix-huitième siècle, c’est là une partie de sa gloire, a aboli la torture ; le dix-neuvième siècle abolira la peine de mort. Vous ne l’abolirez pas peut-être aujourd’hui ; mais, n’en doutez pas, demain vous l’abolirez, ou vos successeurs l’aboliront. »
Discours devant l’Assemblée nationale, 9 juillet 1849, Actes et Paroles, Hugo, 1875
J’accuse !
Dans la conclusion de sa lettre ouverte restée célèbre, Zola après avoir mené une longue enquête prend la défense du capitaine Dreyfus. Dans son texte polémique il met son éloquence au service du combat contre l’antisémitisme et toute forme d’injustice. L’anaphore de « J’accuse » est restée célèbre.
« J'accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d'avoir fait une enquête scélérate, j'entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité [...] J'accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d'avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu'un examen médical ne les déclare atteints d'une maladie de la vue et du jugement. J'accuse les bureaux de la guerre d'avoir mené dans la presse, particulièrement dans L'Éclair et dans L'Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer [...] J'accuse enfin le premier conseil de guerre d'avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète [...] Je n'ai qu'une passion, celle de la lumière, au nom de l'humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n'est que le cri de mon âme. »
« J’accuse ! », L’Aurore, Zola, 1898
Un aspect du monde qui crève les yeux et qu’on ne voyait pas
La philosophe féministe revient sur son essai Le deuxième sexe qui défend « l’égalité dans la différence » entre les hommes et les femmes. Son regard est celui de la philosophe et de la femme. L’auteur part de son expérience pour construire son raisonnement déductif.
« Je m’étais mise à regarder les femmes d’un œil neuf et j’allais de surprises en surprises. C’est étrange et stimulant de découvrir soudain, à quarante ans, un aspect du monde qui crève les yeux et qu’on ne voyait pas. Un des malentendus qu’a suscité mon livre, c’est qu’on a cru que j’y niais entre hommes et femmes toute différence : au contraire, j’ai mesuré en écrivant ce qui les sépare ; ce que j’ai soutenu, c’est que ces dissemblances sont d’ordre culturel et non pas naturel. J’entrepris de raconter systématiquement, de l’enfance à la vieillesse, comment elles se créent ; j’examinai les possibilité que ce monde offre aux femmes, celles qu’il leur refuse, leurs limites, leurs malchances et leurs chances, leurs évasions, leurs accomplissement. »
La force des choses, Beauvoir, 1963
Vous Tirailleurs Sénégalais
Dans ce poème adressé à Damas (autre poète de la Négritude) qui ouvre le recueil Hosties Noires, Senghor compose une ode aux tirailleurs sénégalais qui ont combattu aux côtés de la France. Il revendique également la reconnaissance de la dignité et de l’identité de son peuple dans sa poésie engagée.
« Poème liminaire
À L.-G. DAMAS
Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ?
Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux Je ne laisserai pas — non ! — les louanges de mépris vous enterrer furtivement.
Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France. »
Le docteur Rieux est engagé dans la lutte contre la peste qui ravage Oran. Dans ce dialogue, il explique les raisons à l’origine de son engagement qui le poussent à continuer à lutter contre une maladie qui le dépasse. C’est ici le personnage qui incarne l’engagement de son auteur, une argumentation indirecte.
« - Quand je suis entré dans ce métier, je l’ai fait abstraitement, en quelque sorte, parce que j’en avais besoin, parce que c’était une situation comme les autres, une de celles que les jeunes gens se proposent. Peut-être aussi parce que c’était particulièrement difficile pour un fils d’ouvrier comme moi. Et puis il a fallu voir mourir. Savez-vous qu’il y a des gens qui refusent de mourir ? Avez-vous jamais entendu une femme crier : « Jamais ! » au moment de mourir ? Moi, oui. Et je me suis aperçu alors que je ne pouvais pas m’y habituer. J’étais jeune et mon dégoût croyait s’adresser à l’ordre même du monde. Depuis, je suis devenu plus modeste. Simplement, je ne suis toujours pas habitué à voir mourir. Je ne sais rien de plus. Mais après tout… Rieux se tut et se rassit. Il se sentait la bouche sèche. - Après tout ? dit doucement Tarrou.»