Boileau : la fluidité et la variété de la poésie classique
« Heureux, qui dans ses vers, fait, d'une voix légère, Passer du grave au doux, du plaisant au sévère ! »
L’art poétique, Nicolas Boileau, 1674
Hugo : la liberté du poète
« Il n'y a, en poésie, ni bons ni mauvais sujets, mais de bons et de mauvais poètes. D'ailleurs, tout est sujet ; tout relève de l'art ; tout a droit de cité en poésie. »
préface aux Orientales, Victor Hugo, 1829
Musset : l’importance des sonorités en poésie
« La poésie est si essentiellement musicale qu'il n'y a pas de si belle pensée devant laquelle le poète ne recule si sa mélodie ne s'y trouve pas. »
« Poète déchu », Alfred de Musset, 1839
Baudelaire : l’art pour l’art
« La poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-même ; elle ne peut pas en avoir d’autre, et aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème. »
Notes nouvelles sur Edgar Poe, Charles Baudelaire, 1857
Lautréamont : étrangeté de l’image surréaliste
« Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie. »
Les chants de Maldoror, Lautréamont (précurseur des surréalistes), 1869
Rimbaud : la poésie comme expérience extrême
« Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. »
Lettre à Paul Demeny, Arthur Rimbaud, 1871
Gide : les formes contraintes comme source de créativité
« L'art naît de contraintes, vit de lutte et meurt de liberté. »
Prétextes, André Gide, 1921
Breton : le surréalisme comme union du rêve et de la réalité
« Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l'on peut ainsi dire. »
Manifeste du surréalisme, André Gide, 1924
Aragon : la poésie du réel
« C'est à la poésie que tend l'homme ; il n'y a de poésie que du concret. »
Le paysan de Paris, Louis Aragon, 1926
Césaire : la poésie engagée
« Et la poésie est insurrection contre la société parce que dévotion au mythe déserté ou éloigné ou oblitéré…Seul l'esprit poétique corrode et bâtit, retranche et vivifie. »
Appel au magicien, Aimé Césaire, 1944
Villon : l’évocation de la mort
Dans cette ballade à la forme traditionnelle et lyrique, Villon fait parler des cadavres s’adressant aux vivants d’une manière particulièrement réaliste et touchante. La prière à l’impératif, « Priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! », revient comme une sorte de refrain.
« La pluie nous a débués et lavés, Et le soleil desséchés et noircis. Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés, Et arraché la barbe et les sourcils. Jamais nul temps nous ne sommes assis Puis çà, puis là, comme le vent varie, A son plaisir sans cesser nous charrie, Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre. Ne soyez donc de notre confrérie ; Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! Prince Jésus, qui sur tous a maistrie, Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie : A lui n'ayons que faire ne que soudre. Hommes, ici n'a point de moquerie ; Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! »
La ballade des pendus, François Villon, 1462
Ronsard et le lyrisme amoureux
Dans cette ode, typique du lyrisme amoureux, Ronsard invite Cassandre, sa bien-aimée, à profiter du jour présent car sa jeunesse ne durera pas éternellement. Les interjections (Las !) et la ponctuation exclamative soulignent la lamentation face au temps qui passe.
« Mignonne, allons voir si la rose Qui ce matin avait déclose Sa robe de pourpre au soleil, À point perdu cette vesprée, Les plis de sa robe pourprée, Et son teint au vôtre pareil. Las ! voyez comme en peu d’espace, Mignonne, elle a dessus la place Las ! las ! ses beautés laissé choir ! Ô vraiment marâtre Nature, Puis qu’une telle fleur ne dure Que du matin jusques au soir ! Donc, si vous me croyez, mignonne, Tandis que vôtre âge fleuronne En sa plus verte nouveauté, Cueillez, cueillez votre jeunesse : Comme à cette fleur la vieillesse Fera ternir votre beauté. »
Odes, Pierre de Ronsard, 1524
La Fontaine : une morale à destination du lecteur
Cette courte fable comporte un récit au passé composé et à l’imparfait mettant en scène des animaux, suivi d’une morale intemporelle à destination des humains et rédigée au présent dit « de vérité générale. »
« Une Grenouille vit un Bœuf Qui lui sembla de belle taille. Elle qui n'était pas grosse en tout comme un œuf, Envieuse s'étend, et s'enfle, et se travaille Pour égaler l'animal en grosseur, Disant : Regardez bien, ma sœur ; Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ? Nenni. M'y voici donc ? Point du tout. M'y voilà ? Vous n'en approchez point. La chétive Pécore S'enfla si bien qu'elle creva. Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages : Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs, Tout petit prince a des ambassadeurs, Tout marquis veut avoir des pages. »
Fables, Jean de la Fontaine, 1668-1694
Le spleen baudelairien
S’appropriant le terme anglais de « spleen », Baudelaire donne une image saisissante du « mal du siècle » romantique, cette mélancolie conduisant à un dégoût du monde. Le réseau des comparaisons et métaphores sinistres renforce l’impression de désespoir et d’enfermement.
« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle II nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées D'une vaste prison imite les barreaux, Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement. »
« Spleen LXXVIII », in Les fleurs du mal, Charles Baudelaire,1857
Rimbaud et l’irrésistible appel de la liberté
Dans cette longue prosopopée (action de faire parler un objet inanimé), Rimbaud donne la parole à un bateau qui a rompu ses amarres et s’en va vers la mer, libre. L’incertitude sur l’identité du « je » est un des grands ressorts de ce poème.
« Comme je descendais des Fleuves impassibles, Je ne me sentis plus guidé par les haleurs : Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles, Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J’étais insoucieux de tous les équipages, Porteur de blés flamands ou de cotons anglais. Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages, Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.
Dans les clapotements furieux des marées, Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants, Je courus ! Et les Péninsules démarrées N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempête a béni mes éveils maritimes. Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes, Dix nuits, sans regretter l’oeil niais des falots ! »
« Le bateau ivre », Arthur Rimbaud, 1871
André Breton et les métaphores surréalistes
Ce poème, structuré par l’anaphore en « ma femme », est caractéristique de l’aspect mystérieux et apparemment arbitraire des images surréalistes.
« Ma femme à la chevelure de feu de bois Aux pensées d'éclairs de chaleur A la taille de sablier Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de dernière grandeur »
Union libre, in Clair de terre, André Breton, 1931
Prévert et l’engagement
Ce poème a été écrit en 1933 à l’occasion de grèves massives aux usines Citroën. Il y fustige André Citroën, patron de la société, et prend la défense des ouvriers. L’anaphore en « un petit homme » insiste sur la responsabilité du patron. La répétition de ses profits et l’énumération dCe poème a été écrit en 1933 à l&r
« À la porte des maisons closes C’est une petite lueur qui luit… Mais sur Paris endormi, une grande lumière s’étale : Une grande lumière grimpe sur la tour, Une lumière toute crue. C’est la lanterne du bordel capitaliste, Avec le nom du tôlier qui brille dans la nuit.
Citroën ! Citroën ! »
Citroen, Jacques Prévert, 1933
Ponge et la réinvention du langage quotidien
Dans ce poème en prose, Ponge effectue une sorte de définition d’un coquillage habituellement jugé peu poétique. Le présent dit « de vérité générale », l’emploi du pronom personnel « on » et l’utilisation de tournures impersonnelles en « il faut » donnent une impression d’objectivité.
« L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. »
« L’huître », in Le parti-pris des choses, Francis Ponge, 1942
Raymond Queneau et la méthode dite « s + 7 »
Reprenant La cigale et la fourmi de La Fontaine, Queneau en remplace les noms, verbes et adjectifs par celui se trouvant sept places plus loin dans le dictionnaire.
« La cimaise ayant chaponné Tout l’éternueur Se tuba fort dépurative Quand la bixacée fut verdie : Pas un sexué pétrographique morio De moufette ou de verrat. »
« la cimaise et la fraction », Raymond Queneau,1973