Flaubert a consacré sa vie à l’écriture. Son œuvre romanesque, limitée si on la compare avec celle de ses contemporains, est particulièrement travaillée, son style ciselé en fait un des plus grands romanciers de son temps.
« Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien. »
Lettre à Louise Colet, 16 janvier 1852, Flaubert
Avant propos à La Comédie humaine
Balzac précise ici son gigantesque projet romanesque de faire le tableau de la société de son temps et de ses mœurs, c’est à dire sa façon de vivre.
« En dressant l'inventaire des vices et des vertus, en rassemblant les principaux faits des passions, en peignant les caractères, [...] peut-être pouvais-je arriver à écrire l'histoire oubliée par tant d'historiens, celle des mœurs. »
Avant propos à La Comédie humaine de 1842, Balzac.
Des juges d’instruction…
Chef de file du mouvement naturaliste, Zola définit ici la posture de l’écrivain ainsi que son ambition romanesque.
« Nous autres romanciers, nous sommes les juges d'instruction des hommes et de leurs passions. »
Zola, Le roman expérimental (1881)
« Ce qu’est le roman »
C’est en romancier que Kundera propose dans cet essai une histoire du roman et définit son art romanesque.
« L'œuvre de chaque romancier contient une vision implicite de l'histoire du roman, une idée de ce qu'est le roman. »
L’art du roman, Kundera (1986)
« Un fleuve est un personnage »
Roman épique, Le chant du monde voit ses personnages se fondre symboliquement avec la nature. En définissant ce fleuve-personnage, Giono brosse le portrait de bon nombre de ses personnages, d’une vision du personnage de roman.
« Un fleuve est un personnage, avec ses rages et ses amours, sa force, son dieu hasard, ses maladies, sa faim d’aventures. »
Le chant du monde, Giono (1934)
Inventer le monde
Poète, romancier mais également éditeur, Aragon explicite ce que doit être le roman. On perçoit dans ses propos l’influence du mouvement surréaliste auquel il a appartenu.
« Jusqu’ici, les romanciers se sont contentés de parodier le monde. Il s’agit maintenant de l’inventer. »
Blanche ou l’oubli, Aragon (1967)
Pour un nouveau roman
Robbe-Grillet donne ici un manifeste visant à défendre ce « nouveau roman » né des bouleversements qu’a connu le XXe siècle.
« Chaque romancier, chaque roman doit inventer sa propre forme. Aucune recette ne peut remplacer cette réflexion continuelle. Le livre crée pour lui ses propres règles. »
Pour un nouveau roman, Robbe-Grillet (1963)
La seule morale du roman
Romancier et essayiste, Kundera propose ici une définition du roman comme outil d'exploration du monde et de l'humain.
« Le roman qui ne découvre pas une portion jusqu'alors inconnue de l'existence est immoral. La connaissance est la seule morale du roman. »
L’art du roman, Kundera (1986)
Pourquoi le roman ?
Dans cet ouvrage, Marthe Robert tente de comprendre les raisons qui poussent à écrire des romans. Elle essaie aussi de cerner ce qui définit ce genre à la fois universel et disparate.
« Le roman se distingue de tous les autres genres littéraires, et peut-être de tous les autres arts, par son aptitude non pas à reproduire la réalité, comme il est reçu de le penser, mais à remuer la vie pour lui recréer sans cesse de nouvelles conditions et en redistribuer les éléments. »
Roman des origines et origine du roman, Marthe Robert (1972)
Des êtres sans entrailles
On prête à Paul Valery cette métaphore définissant les personnages de roman, « sans entrailles », êtres de langage dont la psychologie n’est assumée que par le lecteur.
« Ces vivants aux entrailles de papier ».
Œuvres, Valery.
Portrait de la Princesse de Clèves
Madame de Lafayette ouvre son roman sur une galerie de portraits : ceux des personnages de la cour d’Henri II qui peupleront son récit. C’est le tour de Mlle de Chartres, future Princesse de Clèves. Son portrait la présente comme un modèle de beauté physique qui reflète ses qualités morales. La princesse de Clèves est le premier roman qui dote son personnage principal d’une psychologie complexe.
« Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit croire que c'était une beauté parfaite, puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu où l'on était si accoutumé à voir de belles personnes. Elle était de la même maison que le vidame de Chartres, et une des plus grandes héritières de France. Son père était mort jeune, et l'avait laissée sous la conduite de madame de Chartres, sa femme, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à l'éducation de sa fille ; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté ; elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable. »
Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves, 1678
Un coup de foudre
Prévost se fait romancier de l’amour fou. Des Grieux, jeune homme naïf de bonne famille, rencontre ici pour la première fois Manon Lescaut, incarnation de la femme fatale, c’est la naissance d’un amour fou.
« J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt ! j'aurais porté chez mon père toute mon innocence. [...] Nous vîmes arriver le coche d'Arras, et nous le suivîmes jusqu'à l'hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n'avions pas d'autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s'arrêta seule dans la cour, pendant qu'un homme d'un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s'empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante que moi, qui n'avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d'attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d'un coup jusqu'au transport. »
Prévost, Histoire du Chevalier de Des Grieux et de Manon Lescaut, 1731
Autoportrait d’une libertine
Ce roman épistolaire est en partie composée d’une correspondance entre deux libertins, le Vicomte de Valmont et la Marquise de Merteuil. Dans cette lettre, celle-ci lui explique la façon dont s’est forgée sa personnalité. Son libertinage est ainsi le fruit de sa révolte contre la situation des jeunes filles de son époque.
« Entrée dans le monde dans le temps où, fille encore, j'étais vouée par état au silence et à l'inaction, j'ai su en profiter pour observer et réfléchir. [...] Encouragée par ce premier succès, je tâchai de régler de même les divers mouvements de ma figure. Ressentais-je quelque chagrin, je m'étudiais à prendre l'air de la sécurité, même celui de la joie; j'ai porté le zèle jusqu'à me causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l'expression du plaisir. Je me suis travaillée avec le même soin et plus de peine pour réprimer les symptômes d'une joie inattendue. C'est ainsi que j'ai su prendre sur ma physionomie cette puissance dont je vous ai vu quelquefois si étonné. J'étais bien jeune encore, et presque sans intérêt : mais je n'avais à moi que ma pensée, et je m'indignais qu'on pût me la ravir ou me la surprendre contre ma volonté. »
Laclos, Les Liaisons dangereuses, Lettre 81, 1782
Tout son monde, enfin !
Dans la monumentale œuvre romanesque qu’est La Comédie humaine, Balzac étudie l’homme dans son rapport à la société. Chaque milieu doit être présenté pour que l’étude soit complète. Il explicite son projet dans l’Avant-propos de son œuvre.
« Les Scènes de la vie privée représentent l'enfance, l'adolescence et leurs fautes, comme les Scènes de la vie de province représentent l'âge des passions, des calculs, des intérêts et de l'ambition. Puis les Scènes de la vie parisienne offrent le tableau des goûts, des vices et de toutes les choses effrénées qu'excitent les moeurs particulières aux capitales où se rencontrent à la fois l'extrême bien et l'extrême mal. Chacune de ces trois parties a sa couleur locale : Paris et la province, cette antithèse sociale a fourni ses immenses ressources. [...]. J'ai tâché de donner une idée des différentes contrées de notre beau pays. Mon ouvrage a sa géographie comme il a sa généalogie et ses familles, ses lieux et ses choses, ses personnes et ses faits ; comme il a son armorial, ses nobles et ses bourgeois, ses artisans et ses paysans, ses politiques et ses dandies, son armée, tout son monde enfin ! »
Balzac, Avant-propos de La Comédie Humaine, 1842
Le Rouge et le noir
Julien Sorel, timide fils d’un menuisier de sa ville, se rend chez Madame de Rénal, épouse du maire ; il va devenir le précepteur de ses enfants. C’est sa première rencontre avec cette femme qui va jouer un rôle déterminant dans sa vie.
« Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin des regards des hommes, Mme de Rénal sortait par la porte-fenêtre du salon qui donnait sur le jardin, quand elle aperçut près de la porte d'entrée la figure d'un jeune paysan presque encore enfant, extrêmement pâle et qui venait de pleurer. [...] Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux, que l'esprit un peu romanesque de Mme de Rénal eut d'abord l'idée que ce pouvait être une jeune fille déguisée, qui venait demander quelque grâce à M. le maire. Elle eut pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte d'entrée, et qui évidemment n'osait pas lever la main jusqu'à la sonnette. Mme de Rénal s'approcha, distraite un instant de l'amer chagrin que lui donnait l'arrivée du précepteur. Julien tourné vers la porte, ne la voyait pas s'avancer. Il tressaillit quand une voix douce lui dit tout près de l'oreille : - Que voulez-vous ici, mon enfant ? »
Stendhal, Le Rouge et le noir, 1830
« Elle se réveillait en d’autres rêves ? »
Emma Bovary, nourrie aux romans sentimentaux, est très vite déçue par son mariage avec Charles Bovary, un homme terne et médiocre. Elle est ici allongée à côté de son amant et elle se laisse aller à la rêverie. Voici un exemple de ses monologues intérieurs.
« Emma ne dormait pas, elle faisait semblant d’être endormie ; et, tandis qu’il s’assoupissait à ses côtés, elle se réveillait en d’autres rêves. Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau, d’où ils ne reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient, les bras enlacés, sans parler. [...]. C’est là qu’ils s’arrêteraient pour vivre ; ils habiteraient une maison basse, à toit plat, ombragée d’un palmier, au fond d’un golfe, au bord de la mer. Ils se promèneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur existence serait facile et large comme leurs vêtements de soie, toute chaude et étoilée comme les nuits douces qu’ils contempleraient. Cependant, sur l’immensité de cet avenir qu’elle se faisait apparaître, rien de particulier ne surgissait ; les jours, tous magnifiques, se ressemblaient comme des flots [...]. »
Flaubert, Madame Bovary, 1857
Jean Valjean
Jean Valjean fait partie de ces personnages d’exception imaginés par Hugo. Ancien condamné au bagne (il avait volé un pain), il sort traversé par le combat entre le Bien et le Mal. Personnage phare des Misérables, il incarne la foi de l’écrivain en l’Homme.
« Jean Valjean sortit de la ville comme s'il s'échappait. Il se mit à marcher en toute hâte dans les champs, prenant les chemins et les sentiers qui se présentaient sans s'apercevoir qu'il revenait à chaque instant sur ses pas. Il erra ainsi toute la matinée, n'ayant pas mangé et n'ayant pas faim. Il était en proie à une foule de sensations nouvelles. Il se sentait une sorte de colère; il ne savait contre qui. Il n'eût pu dire s'il était touché ou humilié. Il lui venait par moments un attendrissement étrange qu'il combattait et auquel il opposait l'endurcissement de ses vingt dernières années. Cet état le fatiguait. Il voyait avec inquiétude s'ébranler au dedans de lui l'espèce de calme affreux que l'injustice de son malheur lui avait donné. Parfois il eût vraiment mieux aimé être en prison avec les gendarmes, et que les choses ne se fussent point passées ainsi ; cela l'eût moins agité. »
Hugo, Les Misérables, 1862
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure »
Du côté de chez Swann, ouvre le cycle d’À la recherche du temps perdu. Dès l’incipit, le narrateur revient sur ses souvenirs d’enfance et se pose ainsi comme le personnage principal du roman.
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors ». Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait ; je voulais poser le volume que je croyais avoir encore dans les mains et souffler ma lumière ; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de François Ier et de Charles Quint. Cette croyance survivait pendant quelques secondes à mon réveil ; elle ne choquait pas ma raison mais pesait comme des écailles sur mes yeux et les empêchait de se rendre compte que le bougeoir n’était plus allumé. »
Proust, Du côté de chez Swann, À la recherche du temps perdu, 1913
Le feu est parti, le bruit est resté
Bardamu, personnage principal et double de l’auteur du Voyage au bout de la nuit s’est engagé dans l’armée française lors de la première guerre mondiale. Par son récit, l’auteur dénonce les atrocités des combats. Le personnage se trouve dans les tranchées.
« Le feu est parti, le bruit est resté longtemps dans ma tête, et puis les bras et les jambes qui tremblaient comme si quelqu’un vous les secouait de par-derrière. Ils avaient l’air de me quitter, et puis ils me sont restés quand même mes membres. Dans la fumée qui piqua les yeux encore pendant longtemps, l’odeur pointue de la poudre et du soufre nous restait comme pour tuer les punaises et les puces de la terre entière. Tout de suite après ça, j'ai pensé au maréchal des logis Barousse qui venait d'éclater comme l'autre nous l'avait appris. C'était une bonne nouvelle. Tant mieux! que je pensais tout de suite ainsi: “C'est une bien grande charogne en moins dans le régiment !” Il avait voulu me faire passer au Conseil pour une boîte de conserves. “Chacun sa guerre !” que je me dis. De ce côté-là, faut en convenir, de temps en temps, elle avait l'air de servir à quelque chose la guerre ! »
Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932
La jalousie
Le titre du roman joue sur la polysémie du mot « jalousie » (qui désigne à la fois le store qui selon sa position permet de voir ce qui se passe dehors et le sentiment). L’action se déroule sous les tropiques. Le narrateur insiste dans cet extrait sur nombre de détails, la description se veut froide et objective.
« Bien qu'il fasse tout à fait nuit maintenant, elle a demandé de ne pas emporter les lampes, qui - dit-elle - attirent les moustiques. Les verres sont emplis, presque jusqu'au bord, d'un mélange de cognac et d'eau gazeuse où flotte un petit cube de glace. Pour ne pas risquer d'en renverser le contenu par un faux mouvement, dans l'obscurité complète, elle s'est approchée le plus possible du fauteuil où est assis Franck, tenant avec précaution dans la main droite le verre qu'elle lui destine. Elle s'appuie de l'autre main au bras du fauteuil et se penche vers lui, si près que leurs têtes sont l'une contre l'autre. Il murmure quelques mots : un remerciement sans doute. Elle se redresse d'un mouvement souple, s'empare du troisième verre - qu'elle ne craint pas de renverser, car il est beaucoup moins plein - et va s'asseoir à côté de Franck [...]. »
Robbe-Grillet, La jalousie, 1957
La leçon de piano
Moderato cantabile s’ouvre sur une leçon de piano racontée en focalisation externe (volonté de neutralité et d’impartialité du narrateur).
« Veux-tu lire ce qu’il y a d’écrit au-dessus de ta partition? demanda la dame. — Moderato cantabile, dit l’enfant. La dame ponctua cette réponse d’un coup de crayon sur le clavier. L’enfant resta immobile, la tête tournée vers sa partition. — Et qu’est-ce que ça veut dire, moderato cantabile? — Je ne sais pas. Une femme, assise à trois mètres de là, soupira. — Tu es sûr de ne pas savoir ce que ça veut dire, moderato cantabile? reprit la dame. L’enfant ne répondit pas. La dame poussa un cri d’impuissance étouffé, tout en frappant de nouveau le clavier de son crayon. Pas un cil de l’enfant ne bougea. La dame se retourna. — Madame Desbaresdes, quelle tête vous avez là, dit-elle. Anne Desbaresdes soupira une nouvelle fois. — A qui le dites-vous, dit-elle. L’enfant, immobile, les yeux baissés, fut seul à se souvenir que le soir venait d’éclater. Il en frémit. »
Duras, Moderato cantabile, 1958
Lalla
L’héroïne de Désert est émigrée à Marseille. Fille du désert, avide de grands espaces, de lumière et de liberté, elle travaille comme femme de ménage dans un petit hôtel. Déracinée, errante, seule, elle est lasse de cette vie. La narration au présent (caractéristique des textes contemporains) fait du lecteur un témoin immédiat de l’action.
« Dans les couloirs sombres de l'hôtel, sur le linoléum couleur lie-de-vin, et devant les portes tachées, elle est une silhouette à peine visible, grise et noire, pareille à un tas de chiffons. Les seuls qui la connaissent ici, ce sont les patrons de l'hôtel, et le veilleur de nuit qui reste jusqu'au matin, un Algérien grand et très maigre, avec un visage dur et de beaux yeux verts comme ceux de Naman le pêcheur. Lui salue toujours Lalla, en français, et il lui dit quelques mots gentils ; comme il parle toujours très cérémonieusement avec sa voix grave, Lalla lui répond avec un sourire. Il est peut-être le seul ici qui se soit aperçu que Lalla est une jeune fille, le seul qui ait vu sous l'ombre de ses chiffons son beau visage couleur de cuivre et ses yeux pleins de lumière. Pour les autres, c'est comme si elle n'existait pas. »