1Genre délaissé au XVIIe, le roman renaît doucement au XVIIIe siècle
A) Le roman et ses personnages au XVIIe siècle
genre mineur et de formes diverses : roman pastoral (cadre champêtre), roman héroïque (récit épique des exploits d’un héros historique porté par l’amour), roman parodique (parodie des romans sérieux), roman d’analyse (analyse d’un milieu, de ses mœurs et de ses protagonistes)
héros précieux : héritier des héros de chevalerie, idéalisé ; univers épuré et délicat (Céladon et Astrée dans L’Astrée d’Honoré d’Urfé) ; ses aventures s’accompagnent d’analyses morales révélatrices des valeurs de l’époque
héros comique : en réaction aux précédents héros, des héros plus proches du lecteur (ex. : L’histoire comique de Francion de Sorel, Le Roman comique de Scarron) ; ces héros montrent les travers et les ridicules de l’époque
héroïne vertueuse : vertueuse, élégante et raffinée ; appartient à l’aristocratie (La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette : l’action se déroule à la cour d’Henri II ; analyse psychologique des personnages qui met en lumière leurs qualités morales
héros picaresque : héritier du Don Quichotte de Cervantes, cet « anti-héros » évolue dans les couches inférieures de la société, sans parvenir à en sortir
B) Le personnage de roman au siècle des Lumières (XVIIIe siècle)
héros parvenu : d’origine modeste, il s’échappe de sa condition pour s’élever dans la société. Ex. : Marianne dans La Vie de Marianne de Marivaux
voyageur philosophe : par le récit de ses voyages, il construit un regard critique sur le monde et permet au lecteur de prendre des distances avec ses préjugés. Ex. : Usbek, le persan de Montesquieu dans Les lettres persanes
libertin cynique : libéré des règles morales ; peut se montrer cynique ; incarne les travers d’une aristocratie corrompue. Ex. : Valmont ou Mme de Merteuil des Liaisons dangereuses ; Sade : des libertins hypocrites face à des victimes innocentes et sincères
amoureux sensible : vit les tourments de la passion ; sa quête d’un amour idéal est un échec. Ex. : Le chevalier Des Grieux dans Manon Lescaut de Prévost ; personnages de Rousseau dans La nouvelle Héloïse
Transition : les héros au cœur sensible de Rousseau, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle annoncent le romantisme, mouvement qui va embraser l’Europe et donner naissance à une nouvelle sorte de « héros ».
2Le XIXe siècle : le siècle du roman, romantique, réaliste, naturaliste
A) Le roman romantique et ses personnages
le roman n’est pas le genre favori des romantiques mais l’esprit du siècle (mélancolique, centré sur le Moi et les sentiments intimes) se retrouve dans certains personnages. Ex. : Les Souffrances du Jeune Werther (fin XVIIe) de Goethe : le héros de ce roman épistolaire se suicide à cause d’un amour impossible, le roman connaît un grand succès
le personnage du héros romantique : jeune, amoureux, mélancolique ; fait partager au lecteur son émotion devant les beautés de la nature, ainsi que son désespoir de voir son « moi » incompris (ex. : René de Chateaubriand)
héroïnespassionnée et tourmentées (chez Constant, Nerval ou Mme de Staël) ; héroïnes conditionnées par une vision romantique de l’amour
en réaction au romantisme, Flaubert écrit Madame Bovary : l’héroïne de son roman réaliste, grande lectrice de romans sentimentaux, connaît elle aussi les mêmes désillusions
B) Le roman réaliste et le roman naturaliste et leurs personnages
roman réaliste : représentation la plus fidèle possible du réel
le personnage du roman réaliste : peut appartenir à des milieux et des lieux très divers ; chez Balzac : correspond à un type social et psychologique, toute la société est mise en scène
le héros ambitieux : fait l’apprentissage du monde (ex. : Rastignac chez Balzac, Bel-Ami chez Maupassant) comme ses prédécesseurs du XVIIIe, va chercher à gravir les échelons de la société, échec dans cette entreprise (dans cette mesure, il peut s’approcher de l’anti-héros)
roman naturaliste : volonté d’étudier de façon scientifique la société, ses protagonistes
le personnage de roman naturaliste : dominé par son instinct et victime de son hérédité (Zola) ; inquiétant car il est souvent incapable de changer son destin
C) Au XIXe siècle : le héros hors du commun
certains héros conservent une dimension épique : Jean Valjean de Hugo, D’Artagnan de Dumas, héros de roman d’aventure de Verne
nombreuses qualités physiques et morales
au service des valeurs qu’ils incarnent ou des causes qu’ils défendent
Transition : au XXe siècle, les formes de narration se diversifient. La notion de personnage se complexifie.
3XXe et XXIe siècles : vers une mort du héros ?
A) Le personnage narrateur de lui-même ou narrateur lui-même
Proust invente un nouveau type de personnage (À la recherche du temps perdu) : le double fictionnel de l’auteur, témoin privilégié des mutations du monde
Céline procède de la même manière avec son personnage Bardamu, témoin ironique de son temps
encore plus aujourd’hui, les écrivains nourrissent leurs personnages de leurs propres souvenirs (Modiano)
B) Le héros engagé
pour défendre des causes, certains auteurs vont inventer des personnages qui incarnent leurs idéaux
ils peuvent combattre au côté des républicains (ex. : L’Espoir, de Malraux)
incarner la solidarité ou la fraternité (ex. : Rieux, héros de La Peste de Camus)
cet engagement est souvent idéologique
C) Le Nouveau Roman et son personnage
roman en crise : l’intrigue disparaît derrière de minutieuses descriptions hyperréalistes
personnage du Nouveau Roman : être anonyme, voix qui rapporte une vision fragmentée du monde. Ex. : Les Gommes de Robbe-Grillet : Wallas, le héros erre dans une ville sans nom et en fait une description précise
D) L’Anti-héros ; le personnage déraciné
contexte d’après-guerre : traumatisme qui donne naissance à un personnage désengagé et désabusé dans un monde désenchanté
personnage dépourvu de qualités particulières (contrairement aux héros de nombreux romans), se laisse porter par les événements ; sa vie est sans relief (ex. : Roquentin, dans La Nausée, Meursault de L’Etranger) ; amène le lecteur à réfléchir sur sa propre existence dans un monde déshumanisé
une veine picaresque peut inspirer certains de ces personnages d’anti-héros se débattant dans la fange de notre monde contemporain (ex. : Bardamu de Voyage au bout de la nuit)
personnage déraciné, personnage de l’exil : une dimension essentielle du monde moderne (Kundera, Le Clézio, Laferrière) ; quête identitaire, parcours semé d’obstacles, de rencontres
Bilan : du statut de héros qu’ils avaient hérité de l’épopée, les protagonistes des romans sont progressivement descendus de leur piédestal, pour devenir des personnages, plus proches du lecteur, jusqu’à devenir purement conceptuels. Le personnage de roman, en constante mutation, double de l’auteur mais aussi du lecteur, est à l’image des bouleversements et des interrogations de la société qu’il reflète.