Le héros tragique ne doit être « ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocent » […] C’est un être ordinaire qui, « sans être un modèle de vertu et de justice, tombe dans le malheur non pas à cause de ses vices ou de sa méchanceté mais à cause de quelque erreur. »
Poétique, 335 av J-C.
Racine : le but de la tragédie
« Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie ; il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. »
Préface de Bérénice, 1670
Racine : le but de la tragédie
« La principale règle est de plaire et de toucher : toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première. »
Préface de Bérénice, 1670
Boileau : la règle des trois unités
« Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli. »
L’Art poétique, 1674
Beaumarchais : la liberté de critiquer dans l’art
« On ne peut corriger les hommes qu’en les faisant voir tels qu’ils sont. »
Préface au Mariage de Figaro, 1778
Victor Hugo : la suprématie du drame sur les autres genres théâtraux
« Et le drame, qui fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie, le drame est le caractère propre de la troisième époque de poésie, de la littérature actuelle. »
Préface de Cromwell, 1827
Victor Hugo : le théâtre engagé
« Le théâtre est une tribune. Le théâtre est une chaire. »
Préface de Lucrèce Borgia, 1883
Jean Vilar : l’importance des comédiens
« L'âme de l'acteur n'est pas un vain mot. [...] Car plus encore que de sa sensibilité, c'est de l'âme du comédien dont l'œuvre a besoin. »
Assassinat du metteur en scène, 1945
Pommerat : la spécificité du langage théâtral
« L'écriture de théâtre est faite de silence, de mouvement, de bruit, de lumière, de corps, d'un espace. [...] Le sens se niche bien au-delà des mots. »
Interview à www.theatre-video.net, 2004
Ariane Mnouchkine : le rôle du théâtre
« Le théâtre a charge de représenter les mouvements de l’âme, de l’esprit, du monde, de l’histoire ».
Le Petit dictionnaire du théâtre
Racine : le dilemme tragique
Titus, pour devenir empereur de Rome, doit renoncer à Bérénice, la femme qu’il aime, qui est considérée comme une barbare par les Romains. Dans ce monologue délibératif, il exprime sa souffrance d’être pris entre deux désirs contradictoires.
TITUS Hé bien ! Titus, que viens-tu faire ? Bérénice t'attend. Où viens-tu, téméraire ? Tes adieux sont-ils prêts ? T'es-tu bien consulté ? Ton cœur te promet-il assez de cruauté ? Car enfin au combat qui pour toi se prépare C'est peu d'être constant, il faut être barbare. Soutiendrai-je ces yeux dont la douce langueur Sait si bien découvrir les chemins de mon cœur ? Quand je verrai ces yeux armés de tous leurs charmes, Attachés sur les miens, m'accabler de leurs larmes, Me souviendrai-je alors de mon triste devoir ? Pourrai-je dire enfin : « Je ne veux plus vous voir ? » Je viens percer un cœur que j'adore, qui m'aime. Et pourquoi le percer ? Qui l'ordonne ? Moi-même. Car enfin Rome a-t-elle expliqué ses souhaits ? L'entendons-nous crier autour de ce palais ? Vois-je l'État penchant au bord du précipice ? Ne le puis-je sauver que par ce sacrifice ?
Bérénice, Acte IV scène 4, 1670
Molière : le comique inspiré de la commedia dell’arte
Scapin, voulant se venger de son maître Géronte, l’a poussé à se cacher dans un sac pour échapper à un tueur gascon. Scapin fait lui-même la voix du Gascon.
« SCAPIN : (Tout le langage gascon est supposé de celui qu’il contrefait, et le reste de lui) « Oh, l’homme au sac ! » Monsieur. « Jé té vaille un louis, et m’enseigne où put être Géronte. » Vous cherchez le seigneur Géronte ? « Oui, mordi ! Jé lé cherche.» Et pour quelle affaire, Monsieur ? « Pour quelle affaire ?» Oui. « Jé beux, cadédis, lé faire mourir sous les coups de vaton. » Oh ! Monsieur, les coups de bâton ne se donnent point à des gens comme lui, et ce n’est pas un homme à être traité de la sorte. [...] « Est-ce que tu es des amis dé cé Geronte ? » Oui, Monsieur, j’en suis. « Ah ! Cadédis, tu es de ses amis, à la vonne hure. » (Il donne plusieurs coups de bâton sur le sac) Ah, ah, ah ! Ah, Monsieur ! Ah, ah, Monsieur ! »
Les Fourberies de Scapin, Acte III scène 2, 1671
Beaumarchais : la mise en cause des privilèges de la noblesse
Le comte Almaviva, maître de Figaro, prétend séduire la fiancée de ce dernier. Dans un très long monologue, Figaro se révolte contre le comte et contre l’injustice sociale qui permet ces comportements.
« FIGARO : Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! [...] Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m'a fallu déployer plus de science et de calculs, pour subsister seulement, qu'on n'en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes. »
Le mariage de Figaro, Acte V scène 3, 1778
Victor Hugo : le renouvellement du vers dans la drame romantique
Proclamant la naissance du drame romantique, Victor Hugo explique son ambition de rendre le vers plus naturel, plus souple, pour le rapprocher de la simplicité de la prose.
« Si nous avions le droit de dire quel pourrait être, à notre gré, le style du drame, nous voudrions un vers libre, franc, loyal, osant tout dire sans pruderie, tout exprimer sans recherche ; passant d’une naturelle allure de la comédie à la tragédie, du sublime au grotesque ; tour à tour positif et poétique, tout ensemble artiste et inspiré, profond et soudain, large et vrai ; sachant briser à propos et déplacer la césure pour déguiser sa monotonie d’alexandrin ; plus ami de l’enjambement qui l’allonge que de l’inversion qui l’embrouille ; fidèle à la rime, cette esclave reine, [...] ; lyrique, épique, dramatique, selon le besoin ; pouvant parcourir toute la gamme poétique, aller de haut en bas, des idées les plus élevées aux plus vulgaires, des plus bouffonnes aux plus graves, des plus extérieures aux plus abstraites, sans jamais sortir des limites d’une scène parlée. »
Préface de Cromwell, 1827
Artaud : le théâtre comme art total
Dans cet essai, Artaud expose sa conception du théâtre comme art vivant, s’approchant des cérémonies sacrées, magiques. Il refuse de créer des personnages dotés d’une psychologie travaillée et préfère les gestes ou cris à l’omniprésence des mots sur scène.
« Si le théâtre double la vie, la vie double le vrai théâtre. […] la métaphysique, la peste, la cruauté, le réservoir d’énergies que constituent les mythes, que les hommes n’incarnent plus, le théâtre les incarne. Et par ce double, j’entends le grand agent magique dont le théâtre par ses formes n’est que la figuration, en attendant qu’il en devienne la transfiguration. C’est sur la scène que se reconstitue l’union de la pensée, du geste, de l’acte. Et le double du théâtre c’est le réel inutilisé par les hommes de maintenant. »
Lettre à Jean Paulhan, 25 janvier 1936
Ionesco : le langage vidé de tout sens
Les Smith ont invité les Martin à dîner. Après une succession de conversations absurdes où les personnages dialoguent de façon étrange, ils finissent par ne plus utiliser que des proverbes détournés ou des répétitions de mots. Cela illustre la difficulté des communications humaines.
M. MARTIN : On ne fait pas briller ses lunettes avec du cirage noir.
Mme SMITH : Oui, mais avec l’argent on peut acheter tout ce qu’on veut.
M. MARTIN : J’aime mieux tuer un lapin que de chanter dans le jardin.
M. SMITH : Kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes.
Mme SMITH : Quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade.
M. MARTIN : Quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades.
MONSIEUR SMITH : Les chiens ont des puces, les chiens ont des puces.