1La société, un ensemble d’individus au fonctionnement complexe
A) Définir la société
« Société » provient du mot latin societas, qui signifie alliance, amitié, lien. Une société est un groupe humain, un ensemble d’individus qui se rassemblent, soit ponctuellement soit de manière constante.
Ce terme a donc un sens très large, car il peut recouvrir l’ensemble des rapports humains ou des rassemblements (Cf. société privée, association, etc.).
Au sens fort, cependant, il désigne un groupe ou un ensemble d’individus qui donne lieu à une culture, à des institutions, ou à une civilisation.
B) La société est-elle un groupe comme les autres ?
Une société est un groupe, mais tout groupe n’est pas une société : en un sens très vague, certes, la société peut concerner tout rassemblement de personnes.
En un sens plus large, elle représente un ensemble dont les règles de fonctionnement et le mode d’existence peuvent parfois dépasser la conscience des individus qui composent cette société.
C) Le fonctionnement de la société est-il ordonné ?
La société est donc non pas le fruit d’une volonté arbitraire, mais une réalité possédant ses propres règles de fonctionnement, indépendamment du choix des individus qui constituent cette société.
Ces règles possèdent une telle réalité, une telle solidité qu’il s’est avéré possible de constituer une science des faits sociaux: la sociologie qui a pour but d’identifier les récurrences, les dynamiques spécifiques et les données mesurables dans le fonctionnement des groupes humains.
La question qui se pose alors est celle de la pression, voire de la détermination exercée par la société sur l’individu. L’individu peut-il choisir ou non d’appartenir à une société ? Est-il soumis à ses principes ? La pression sociale peut-elle réellement être dépassée ?
Il est nécessaire, également, d’établir une distinction nette entre la société et l’État : l’État émane de la société, mais ils ne se confondent pas. Tandis que la société désigne un groupe humain, l’État est l’ensemble des institutions qui exercent sur ce groupe une autorité politique.
2A-t-on besoin de vivre en société ?
A) Comment décide-t-on de former une société ?
La société est une réunion d’êtres humains : comment cette réunion se produit-elle ? Est-elle le résultat d’une volonté spontanée ? Ou bien d’une délibération raisonnée ? La notion de « convention sociale » reflète cette ambiguïté, puisqu’elle désigne à la fois l’objet d’un accord (donc quelque chose de conscient) et une pratique à laquelle en obéit souvent sans en connaître la source.
Est-elle un environnement dont nous avons naturellement besoin pour vivre et nous développer ? Ou bien l’homme peut-il renoncer à la vie en société, sans renier sa nature ? En effet, si l’homme est incapable de se passer de société, peut-on imaginer que les hommes aient pu prendre la décision de se réunir sous certaines conditions de vie en commun ? Car il aurait alors fallu qu’ils aient existé dans un état « pré-social ».
B) Aristote : l’homme est un animal politique (ou sociable)
Aristote affirme qu’il y a un besoin naturel de vivre en société, et que celui-ci se manifeste de différentes façons : chaque individu doit vivre en société pour assurer sa sécurité et son alimentation, mais aussi parce que l’homme est un être qui parle et qui tire du plaisir de la fréquentation de ses amis.
Ainsi Aristote a pu dire qu’en dehors de la cité, l’homme était « soit une bête, soit un Dieu », mais en aucun cas un être humain normal, qui est quant à lui naturellement porté à se rassembler avec ses congénères.
Cependant, le but de la société n’est pas la simple survie. Autrement dit, le but n’est pas seulement de « vivre » mais de « bien vivre », c’est-à-dire de vivre selon la justice. Car si la société est un besoin vital, on ne peut pas la réduire à ce besoin : on peut parfaitement satisfaire ses besoins vitaux en vivant en cage.
C) Rousseau : l’état de nature et le choix de la société
Rousseau souligne en revanche que l’homme n’avait aucun besoin naturel de vivre en société : le besoin sépare les hommes plutôt qu’il ne les rassemble, et dans une nature luxuriante et généreuse un seul individu peut parfaitement se suffire à lui-même.
Cet état pré-social est appelé « état de nature », et Rousseau affirme lui-même qu’il s’agit d’une fiction. Ce n’est pas pour autant un produit arbitraire de son imagination, mais un moyen de concevoir les conditions qui ont forcé l’homme à se rassembler avec ses congénères et à se soumettre à une autorité politique.
L’état de société, en revanche, est un état dans lequel l’homme, au contact d’autrui, développe des passions (notamment l’amour-propre, une passion sociale envers le regard d’autrui, qui doit être distingué de l’amour de soi, une passion primitive qui nous permet de nous conserver). La société permet également l’apparition de nouvelles connaissances. Tous ces facteurs transformeront radicalement l’être humain. L’homme « social » est méconnaissable par rapport à l’homme « naturel », même si ces deux hommes sont humains et possèdent une nature commune.
3La société possède-t-elle ses propres règles ?
A) La société, un ordre arbitraire ?
Si la société était le pur produit d’une décision libre, volontaire, alors il serait possible aux hommes de lui donner les règles de fonctionnement qu’ils souhaitent.
Chaque société humaine se distingue d’une autre par de nombreuses caractéristiques, coutumes, hiérarchies, tabous, dont la variété laisse penser que ces éléments sont déterminés arbitrairement.
B) La société comme objet de connaissance
Cependant, plusieurs théoriciens ont observé à travers l’immense variété des groupements humains un certain nombre de traits récurrents, de régularités, ou de données mesurables. Il s’agit de fondements nécessaires à l’élaboration d’une science qui sera nommée « sociologie ».
Durkheim fut l’un des pères de la sociologie. Sa première étude, consacrée au suicide, montrait précisément qu’il y avait des récurrences dans des actions qui, pourtant, à l’échelle individuelle, semblent être le pur produit d’une décision personnelle. Au contraire, remarque Durkheim, il y a davantage de suicides à certaines périodes de l’année, et ces variations s’expliquent par des facteurs qu’il faut identifier et mesurer (par exemple, le nombre de suicides est plus important chez les célibataires que chez les hommes mariés, chez les protestants que chez les catholiques, etc.).
C) L’enquête sociologique : la recherche de l’ordre et de la détermination à travers le désordre apparent
La société est donc une entité qui fonctionne selon des schémas, des principes et des lois complexes, mais que l’on peut observer et analyser. Cela se manifeste jusque dans les plus infimes aspects de la vie humaine. Notre vie en société influence toutes nos actions, qui sont donc socialement ou culturellement déterminées, comme l’observe l’anthropologie.
L’anthropologie est l’étude de l’être humain, à la fois du point de vue physique et du point de vue culturel. Elle relève par exemple que de nombreux caractères que l’on pourrait considérer comme « naturels » chez l’humain (la marche, la perception de l’espace et du temps, la sexualité, etc.) sont en réalité « sociaux » ou « culturels », c’est-à-dire influencés par des conventions que nous apprenons (souvent de façon inconsciente) au cours de notre vie en société.
Marcel Mauss évoque par exemple l’existence de « techniques du corps »spécifiques à chaque société dans une opération aussi anodine que la marche. Lévi-Strauss, suite à de nombreuses enquêtes de terrain, a pu établir les règles structurelles de la parenté, à partir desquelles les unions entre individus s’établissent et perpétuent le lien social.
4L’individu est-il esclave de la société ?
A) Doit-on se résigner à l’ordre social qui nous encadre ?
Montrer que la société possède un ensemble cohérent de règles qui lui sont propres pose donc aussi la question du degré d’influence que ces règles ont sur les individus, ainsi que de leur justice.
Si la société génère par elle-même des structures, des relations et des règles de vie en commun, quelle marge de manœuvre possédons-nous à leur égard ? Peut-on leur résister si ces structures s’avèrent oppressives, contraires à ce que nous voudrions qu’elles soient ?
L’opposition entre holisme (Bourdieu) et individualisme (Boudon) dans la sociologie française de la fin du XXe siècle illustre bien les tensions théoriques auxquelles se heurte la recherche sociologique : le holisme considère que la société est un ensemble qui ne se réduit pas à la somme de ses parties (les individus). L’individualisme considère en revanche que ce sont les comportements et les décisions individuels qui produisent les réalités sociales, qui en sont les véritables causes. Le holisme voit la société comme un tout séparé et autonome par rapport aux individus.
B) La société, lutte perpétuelle ou facteur de progrès ?
Karl Marx a proposé une analyse détaillée des sociétés industrielles du XIXe siècle. Il a démontré que leur organisation économique (et, plus précisément, la répartition des moyens de production) entraînait nécessairement des inégalités de classes et des conflits résultant de ces inégalités (la « lutte des classes »).
Selon Marx, la philosophie politique classique, fondée sur l’idée d’un individu rationnel et libre, néglige les déterminations économiques et sociales auxquelles il se trouve soumis. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ne modifie pas fondamentalement l’ordre social : ces droits sont abstraits, la réalité économique et les hiérarchies sociales sont restées les mêmes. Ce n’est que par une vraie révolution, elle-même amenée par la lutte des classes, que l’ordre général de la société pourra progresser vers davantage de justice.
Emmanuel Kant a cependant noté que la société était paradoxalement un facteur de liberté, et ce non pas malgré les dissensions et les inégalités qu’elle contient, mais à travers ces dissensions et ces inégalités. En effet, l’homme est caractérisé par une « insociable sociabilité », qui l’incite à vouloir se détacher d’autrui tout en recherchant nécessairement la compagnie des hommes.
La tension constante qui résulte de cette insociable sociabilité a pour conséquence une émulation, un progrès des talents et des pensées qui aboutit à davantage de liberté, au progrès général de la société. En définitive, si la société s’impose aux hommes comme une contrainte, c’est la tension entre les individus et leur rapport social aux autres qui leur permet de s’élever à une réelle dignité.