La question des débats qui animent l’interprétation d’une œuvre, et de la liberté que cela autorise, peut être illustrée par des projets de mise en scène théâtrale strictement fidèle aux contraintes techniques et aux conventions de l’époque d’origine. On pourrait dire que la stricte fidélité aux intentions d’un auteur du XVIe siècle, par exemple, exige cet effort de reconstitution. En ce sens, toute pièce classique un tant soit peu modernisée, ne serait-ce qu’à travers la façon de parler moderne des acteurs, est un écart de l’interprétation par rapport à l’intention originale. Cela permet de prendre la mesure de la « liberté nécessaire » qui nous est accordée dans l’interprétation d’un texte, et de mieux comprendre pourquoi, dans certains cas, l’œuvre peut être radicalement modernisée (voir Roméo + Juliette de Baz Luhrmann, 1996). Mais on peut aller jusqu’à dire qu’un effort de reconstitution fidèle aux conditions de l’époque crée désormais un tel sentiment d’étrangeté que cette interprétation « fidèle » est en soi une véritable démarche originale (à Londres au Globe Theater, les pièces de Shakespeare sont jouées en alternance de façon modernisée, et selon une mise en scène fidèle aux conditions d’époque).
Notre besoin d’interprétation peut nous être rendu sensible par des œuvres qui précisément savent faire appel à notre envie de découvrir un sens. La pièce En attendant Godot de Samuel Beckett (1953) met en scène deux personnages perdus, seuls, qui espèrent la venue d’un certain Godot. Leurs dialogues et l’absence d’action réelle alimentent l’attente du spectateur et son sentiment d’absurdité face au destin des personnages. Par un effet de retour, il est invité à réfléchir sur son propre besoin de sens, et sur l’absurdité de sa propre condition.