Rousseau : l’amour-propre comme passion fondamentale de l’homme social
« Il ne faut pas confondre l’amour-propre et l’amour de soi-même ; deux passions très différentes par leur nature et par leurs effets. L’amour de soi-même est un sentiment naturel qui porte tout animal à veiller à sa propre conservation et qui, dirigé dans l’homme par la raison et modifié par la pitié, produit l’humanité et la vertu. L’amour-propre n’est qu’un sentiment relatif, factice et né dans la société, qui porte chaque individu à faire plus cas de soi que de tout autre, qui inspire aux hommes tous les maux qu’ils se font mutuellement, et qui est la véritable source de l’honneur. »
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755
Lévi-Strauss : la barbarie et l’ethnocentrisme
« C'est dans la mesure même où l'on prétend établir une discrimination entre les cultures et les coutumes que l'on s'identifie le plus complètement avec celles qu'on essaye de nier. En refusant l'humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou les plus « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leur attitude typique. Le barbare c'est celui qui croit à la barbarie. »
Race et histoire, 1952
Voltaire : la tolérance religieuse
« Non seulement il est bien cruel de persécuter dans cette courte vie ceux qui ne pensent pas comme nous, mais je ne sais s’il n’est pas bien hardi de prononcer leur damnation éternelle. Il me semble qu’il n’appartient guère à des atomes d’un moment, tels que nous sommes, de prévenir ainsi les arrêts du Créateur. Je suis bien loin de combattre cette sentence : “Hors de l’Église point de salut” ; je la respecte, ainsi que tout ce qu’elle enseigne, mais, en vérité, connaissons-nous toutes les voies de Dieu et toute l’étendue de ses miséricordes ? N’est-il pas permis d’espérer en lui autant que de le craindre ? N’est-ce pas assez d’être fidèles à l’Église ? Faudra-t-il que chaque particulier usurpe les droits de la Divinité, et décide avant elle du sort éternel de tous les hommes ? »
Traité sur la tolérance, 1763
Levinas : le visage d’autrui
« Je pense plutôt que l’accès au visage est d’emblée éthique. C’est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne même pas remarquer la couleur de ses yeux ! Quand on observe la couleur des yeux, on n’est pas en relation sociale avec autrui. La relation avec le visage peut certes être dominée par la perception, mais ce qui est spécifiquement visage, c’est ce qui ne s’y réduit pas. Il y a d’abord la droiture même du visage, son expression droite, sans défense. La peau du visage est celle qui reste la plus nue, la plus dénuée. [...] Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps le visage est ce qui nous interdit de tuer. »
Éthique et infini, 1981
Sartre : dire « l’enfer c’est les autres », ce n’est pas rejeter tout rapport aux autres
« J'ai voulu dire “l'enfer c'est les autres”. [...] On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'était toujours des rapports infernaux. Or [...] je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond, ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes. [...] Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Quoi que je sente de moi, le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui et alors, en effet, je suis en enfer. [...] Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres, ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous. »