« Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l’ignore. Et pourtant j’affirme hardiment, que si rien ne passait, il n’y aurait point de temps passé ; que si rien n’advenait, il n’y aurait point de temps à venir, et que si rien n’était, il n’y aurait point de temps présent. Or, ces deux temps, le passé et l’avenir, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore ? Pour le présent, s’il était toujours présent sans voler au passé, il ne serait plus temps ; il serait l’éternité. Si donc le présent, pour être temps, doit s’en aller en passé, comment pouvons-nous dire qu’une chose soit, qui ne peut être qu’à la condition de n’être plus ? Et peut-on dire, en vérité, que le temps soit, sinon parce qu’il tend à n’être pas ? »
Confessions, 398 ap. J.-C.
Aristote : la substance et ses accidents
« La substance est l'objet de nos études, puisque ce sont les principes et les causes des substances que nous recherchons. Si, en effet, l'on considère une chose quelconque formant un tout, la première partie dans ce tout est la substance ; et si l'on considère l'ordre de succession, c'est la substance encore qui est la première, quand on se place à cet autre point de vue. La qualité et la quantité ne viennent qu'après elle ; et même, à parler d'une manière absolue, la qualité et la quantité ne sont pas même des êtres ; ce ne sont que des qualifications et des mouvements. »
Métaphysique, vers 350 av. J.-C.
Kant : le temps comme forme du sens interne, que nous nous représentons par des analogies spatiales
« Le temps n’est pas quelque chose qui existe en soi, ou qui soit inhérent aux choses comme une détermination objective, et qui, par conséquent, subsiste, si l’on fait abstraction de toutes les conditions subjectives de leur intuition. [...] Le temps n’est autre chose que la forme du sens interne, c’est-à-dire de l’intuition de nous-mêmes et de notre état intérieur. [...] Il détermine le rapport des représentations dans notre état interne. Et, précisément parce que cette intuition intérieure ne fournit aucune figure, nous cherchons à suppléer à ce défaut par des analogies et nous représentons la suite du temps par une ligne qui se prolonge à l’infini [...] et nous concluons des propriétés de cette ligne à toutes les propriétés du temps, avec cette seule exception que les parties de la première sont simultanées, tandis que celles du second sont toujours successives. »
Critique de la raison pure, 1781
Heidegger : l’homme est un « être-pour-la-mort » qui doit embrasser cette angoisse pour rejoindre son authenticité
Le « on » désigne l’opinion commune, la parole courante. Le « Dasein » (« être-là » en allemand) renvoie à l’individu. Ce passage explique que le discours commun sur la mort tend à la banaliser comme événement purement extérieur, et à éloigner le Dasein de cette conscience de la mort qui lui permet pourtant d’avoir une conscience authentique de lui-même.
« Mais en même temps qu’il procure ce rassurement propre à repousser le Dasein loin de sa mort, le On obtient légitimité et considération grâce à la régulation silencieuse de la manière dont on doit se comporter en général par rapport à la mort. Déjà la "pensée de la mort" vaut publiquement comme une peur lâche, un manque d’assurance du Dasein, une obscure fuite du monde. Le On interdit au courage de l’angoisse de la mort de se faire jour. [...] Dans l’angoisse de la mort, le Dasein est transporté devant lui-même en tant que remis à la possibilité indépassable. »
Être et temps, 1927
Épicure : la mort n’est rien
« Ainsi celui de tous les maux qui nous donne le plus d'horreur, la mort, n'est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n'est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. [...] Mais la multitude tantôt fuit la mort comme le pire des maux, tantôt l'appelle comme le terme des maux de la vie. Le sage, au contraire, ne fait pas fi de la vie et il n'a pas peur non plus de ne plus vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n'estime pas non plus qu'il y ait le moindre mal à ne plus vivre. [...] Quant à ceux qui conseillent aux jeunes gens de bien vivre et aux vieillards de bien finir, leur conseil est dépourvu de sens, non seulement parce que la vie a du bon même pour le vieillard, mais parce que le soin de bien vivre et celui de bien mourir ne font qu'un. »
Lettre à Ménécée, IIIe siècle av. J.-C.
Sartre : je suis un libre mortel
« La liberté qui est ma liberté demeure totale et infinie ; non que la mort ne la limite pas, mais parce que la liberté ne rencontre jamais cette limite, la mort n’est aucunement un obstacle à mes projets ; elle est seulement un destin ailleurs de ces projets. Je ne suis pas "libre pour mourir", mais je suis un libre mortel. La mort échappant à mes projets parce qu’elle est irréalisable, j’échappe moi-même à la mort dans mon projet même. Étant ce qui est toujours au-delà de ma subjectivité, il n’y a aucune place pour elle dans ma subjectivité. »