Pour expliquer l’entremêlement de succession et de continuité qui caractérise la durée (qu’il faut distinguer du temps : le temps n’est qu’une spatialisation de la durée réelle), Bergson utilise l’exemple de la mélodie. Dans une mélodie, nous n’entendons pas les notes comme autant d’instants successifs n’ayant aucun rapport les uns avec les autres. Dans une mélodie, c’est comme si chaque note contenait en elle-même les instants qui la précèdent, comme si elle résonnait de la mélodie antérieure. Il y a donc bien succession, car la nouvelle note arrive bel et bien après les autres. Mais il y a aussi continuité, car la mélodie est « contenue » dans chaque nouvelle note qui la poursuit.
Le roman La Nausée de Jean-Paul Sartre (1938) est l’une des illustrations les plus célèbres de l’angoisse existentielle qui résulte de la prise de conscience de notre contingence et de notre finitude. Le héros, Antoine Roquentin, sent que son rapport ordinaire aux choses est peu à peu modifié : tout lui semble dégoûtant, révulsant. Cette évolution vient de ce qu’il se rend progressivement compte de l’engagement de chaque être dans son temps, et de la vacuité que cette temporalité implique. Il trouvera peut-être le moyen de dépasser cette nausée par le recours à l’art, après avoir été emporté par une mélodie de jazz, un soir, dans un café.