« [...] Il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c'est-à-dire des changements dans l'âme même dont nous ne nous apercevons pas [...] Et pour juger encore mieux des petites perceptions que nous ne saurions distinguer dans la foule, j'ai coutume de me servir de l'exemple du mugissement ou du bruit de la mer dont on est frappé quand on est sur le rivage. Pour entendre ce bruit comme l'on fait, il faut bien que l'on entende les parties qui composent ce tout, c'est-à-dire les bruits de chaque vague, quoique chacun de ces petits bruits ne se fasse connaître que dans l'assemblage confus de tous les autres ensemble, c'est-à-dire dans ce mugissement même [...]. Car il faut qu'on [...] ait quelque perception de chacun de ces bruits, quelques petits qu'ils soient ; autrement on n'aurait pas celle de cent mille vagues. »
Nouveaux essais sur l’entendement humain (1765)
Platon : l’intelligible
« [Les mathématiciens] ont recours à des formes visibles [les carrés et triangles tracés sous leurs yeux] et construisent des raisonnements à leur sujet, sans se représenter ces figures particulières, mais les modèles auxquels elles ressemblent ; leurs raisonnements portent sur le carré en soi et sur la diagonale en soi, mais non pas sur cette diagonale dont il font un tracé, et de même pour les autres figures. Toutes ces figures, en effet, ils les modèlent et les tracent, elles qui possèdent leurs ombres et leurs reflets sur l’eau, mais ils s’en servent comme autant d’images dans leur recherche pour contempler ces êtres en soi qu’il est impossible de contempler autrement que par la pensée. »
Platon, La République, vers 380 av. J.-C.
Hume : toutes nos idées sont des perceptions
« Nous pouvons ici diviser toutes les perceptions de l'esprit en deux classes ou espèces, qui seront distinguées par les différents degrés de force et de vivacité. Les perceptions les moins fortes, les moins vives sont communément appelées PENSÉESou IDÉES. Celles de l'autre classe n'ont pas de nom dans notre langue (...). Usons donc de quelque liberté et appelons-les IMPRESSIONS, en employant ce mot dans un sens quelque peu différent du sens habituel. Par le terme IMPRESSIONS, donc, j'entends toutes nos plus vives perceptions, quand nous entendons, voyons, sentons, aimons, haïssons, désirons ou voulons. Et les impressions sont distinguées des idées, qui sont les perceptions les moins vives dont nous sommes conscients quand nous réfléchissons à l'une des sensations où à l'un des mouvements dont nous venons de parler. »
Hume, Enquête sur l’entendement humain,1748
Bergson : l’intuition et la durée
« Nombreux sont les philosophes qui ont senti l'impuissance de la pensée conceptuelle à atteindre le fond de l'esprit. [...] L'intuition dont nous parlons porte donc avant tout sur la durée intérieure. Elle saisit une succession qui n'est pas juxtaposition, une croissance par le dedans, le prolongement ininterrompu du passé dans un présent qui empiète sur l'avenir. C'est la vision directe de l'esprit par l'esprit. Plus rien d'interposé ; point de réfraction à travers le prisme dont une face est espace et dont l'autre est langage. Au lieu d'états contigus à des états, qui deviendront des mots juxtaposés à des mots, voici la continuité indivisible, et par là substantielle, du flux de la vie intérieure. Intuition signifie donc d'abord conscience, mais conscience immédiate, vision qui se distingue à peine de l'objet vu, connaissance qui est contact et même coïncidence. »
Bergson, La Pensée et le mouvant, 1923
Descartes : ma perception est un jugement
« Si par hasard je regardais d’une fenêtre des hommes qui passent dans la rue, à la vue desquels je ne manque pas de dire que je vois des hommes [...] ; et cependant que vois-je de cette fenêtre, sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts ? Mais je juge que ce sont de vrais hommes et ainsi je comprends, par la seule puissance de juger qui réside en mon esprit, ce que je croyais voir de mes yeux. »
Descartes, Méditations métaphysiques, 1641
Kant : les formes a priori de la perception rendent l’expérience et la connaissance possibles
Ce texte signifie que notre perception est encadrée par des formes a priori, qui ne sont pas données par la perception elle-même : l’espace et le temps. Et ce sont justement ces formes qui nous permettent de construire des sciences pures, indépendantes de l’expérience, comme le sont les mathématiques.
« De toutes les intuitions aucune n’est donnée a priori, si ce n’est la simple forme des phénomènes : espace et temps. Mais la matière des phénomènes, ce par quoi des choses nous sont données dans l’espace et dans le temps, ne peut être représentée que dans la perception, partant a posteriori. »